Être un ex marine ça a des bons et des mauvais côtés. J'arrive pas encore à déterminé si c'est une bonne affaire que j'sois debout si tôt tous les jours, mais ça semble être parfait pour mon employeur. Les jours où ils me forcent à prendre congé -comme aujourd'hui-, j'me retrouve souvent assit sur un banc à regarder la rivière avec un café à la main. Le regard perdu sur l'horizon, je finis par voir un corps qui... flotte? Je suis sur mes pieds avant même de m'en rendre compte, mon café déposé à côté de moi sur le banc et je cours vers le bord de l'eau pour voir de plus près.

Je respire, tout simplement. Y a rien qui compte à part les vagues et moi. J’ai l’impression de faire partie intégrante de l’environnement qui m’entoure. Les yeux ouverts vers le ciel. J’vois que ça. L’infinité. J’suis qu’un grain de sable dans l’univers. Mes soucis? Quels soucis? On s’en fiche. Les vagues me ramènent doucement vers le bord de l’eau à chaque vague. Juste assez loin pour ne pas toucher au sable en nageant. Aucune question latente dans ma tête. Les battements de mon cœur, sourds. Mes lentes respirations. J’ai pas à me soucier d’mes cernes bleutées, du voilier qui flotte sur l’eau au quai. J’ai pas à m’sentir coupable de m’être fait avorté. Y a rien de tout ça quand j’suis ici. Aucune larme à verser.

C'est un corps qui flotte avec une planche. Et plus j'y regarde attentivement, moins j'ai l'impression que le corps en question bouge. Alors mon corps se met en action avant mon esprit et me voilà dans l'eau. Je nage rapidement jusqu'à toi et attrape ton corps que je couche sur ta planche avant d'réaliser que t'es très éveillé et pas du tout morte ou inconsciente.

Je t’entends pas arriver. Les oreilles sous l’eau. Les sons coupés par les vagues. Trop absorbée par la quiétude qui m’habite. Un des rares moments où j’arrive enfin à m’sentir vivante. J’y arrive tout simplement plus depuis la mort d’Alex. J’suis qu’une coquille vide. J’sens ton bras qui vient entourer mon corps. J’avale deux gorgées d’eau au passage alors que j’commence à me débattre dans tous les sens. Fuck. T’essaies d’me noyer ou quoi? J’ai la gorge et le nez qui brûle. Je m’étouffe et tousse. Le corps à moitié sur la planche où t’es venu me déposer. C’est quoi ce bordel? T’es malade ou quoi!? J’continue à tousser. La voix enrouée.  

Tu te mets à tousser et, entre deux quintes, tu m'engueules. Oh merde. Oh merde! Fuck. Désolé! J'ai cru que.... J'termine pas ma phrase, tente plutôt de t'aider à arrêter de tousser, mais qu'est-ce que j'peux vraiment faire? Pas grand chose. Qui se laisse flotter comme ça putain!?

Putain. S’prendre un bouillon c’est jamais agréable. Encore moins que tu t’y attendais fucking pas. T’es qui bordel? J’étais bien avant que t’arrives et qu’tu gâches tout. J’réussis à te passer une remarque entre mes dents alors que j’ai du mal à respirer. Touche-moi pas. Fuck. Si y avait pas eu ma planche t’aurais fait quoi? Essayer d’me ramener sur le large? On aurait pu s’noyer tous les deux, crétin! Tu t’crois dans Alerte à Malibu ou quoi!? J’réussis à reprendre mon souffle. Moi j’me laisse flotter et j’en ai rien à foutre de c’que tu peux penser.

J'suis soudainement plus du tout inquiet et plutôt terriblement frustré de la situation. N'importe qui aurait cru que t'étais en train d'te noyer, j'vais certainement pas m'excuser pour avoir voulu te sauver la vie. J'ai envie de foutre mon poing dans quelque chose, mais j'suis dans l'eau avec toutes mes fringues sur le dos, y comprit mes chaussures... c'est pas trop ça. Si t'es trop ingrate pour comprendre alors tant pis.

J’te fusille du regard. On fond, j’sais bien que tu croyais pas mal faire. Seulement, tu m’as tirée brusquement d’mon petit nuage. Et ça fait mal putain. Comme si on m’poignardais. Arrête de rêvasser Clover… La réalité est un foutu cauchemar. Je lève les yeux au ciel. Ouais. Ingrate. C’est probablement le mot parfait. J’agis comme une gamine. Bordel. Sauf que la réalité… elle m’empêche de respirer. Alexander… J’lève les yeux au ciel. J’ris cyniquement. T’inquiète, la prochaine fois j’ferai des signaux d’fumé rien qu’pour toi. J’ferme les yeux. Soupire. Le souffle court. J’me fais plus douce. Désolée, Baywatch. C’est pas d’ta faute. C’est moi et le bordel qui a dans ma tête. J’croyais pas que quelqu’un allait remarquer. Tu dois t’les geler. Je pince les lèvres pour ne pas rire. Putain. C’est quoi cette situation d’merde dans laquelle on est?

Tes commentaire, j'pourrais clairement m'en passer. J'suis frustré et j'me sens stupide en plus d'être complètement trempé. J'ai vécu pire, mais j'avais pas besoin de ça non plus. Tu finis par t'excuser juste avant que je ne nage vers la rive alors je m'arrête et te regarde par-dessus mon épaule. Ça va, j'ai pas froid, mais c'est pas non plus confortable alors si ça t'dérange pas trop, j'vais pas rester là si tu t'noies pas.

J’hoche la tête. J’te suis vers la rive. Toute cette agitation m’donne pas vraiment envie de continuer à flotter. T’as brisé ma bulle de sérénité. Mes émotions reviennent de plein fouet. J’ai du mal à respirer. J’ai mal. J’vois le voilier au loin qui m’regarde. J’ai envie d’pleurer. Les yeux toujours rouges d’la nuit de merde que j’viens de passer. Rapidement, j’sens le sable sous mes pieds et je sors de l’eau à ta suite. J’t’aurais bien offert des vêtements secs mais j’crois pas qu’ils te feraient. Blague de merde. Toujours à dire des conneries même si j’ai l’cœur en bouillie. C’est probablement ma façon d’éviter d’me noyer. Merci d’m’avoir sauvé d’une noyade certaine. Disons que j’te dois une bière, ok? J’aime pas avoir des dettes. J’te dois bien une bière. T’as voulu me sauver la vie. Après on sera quitte et tu pourras retourner dans ta vie de héro taciturne. J’sais pas ce qu’il y a chez toi. Un truc dans ton regard? J’sais pas si j’aime ça ou pas. Comme si j’me regardais dans l’miroir. Une souffrance qui m’rejoint.  

Tu me suis finalement hors de l'eau et, comme je craignais, il fait relativement froid. En prime, j'suis loin de chez moi et je vais donc devoir mouiller le siège de mon Bronco pour rentrer. Génial. Ça va, j'ai vécu pire. Et c'est vrai. Tu me remercies, visiblement contre ton gré et je secoue la main dans l'air entre nous. C'est pas nécessaire. Mais merci quand même. Allez, on va pas commencer à faire une montagne d'un grain de sable. J'ai cru que tu te noyais, j'avais tort, j'ai littéralement sauté aux conclusions et maintenant tu ne me dois absolument rien parce que je n'ai rien fait.

J'te regarde partir. Les pieds dans le sable chaud. J'vais pas insister pour t'offrir une bière. J'crois que t'y tiens clairement pas. C'est une petite ville. On s'recroisera sûrement. En attendant, j'continuerai à avoir l'coeur qui veut m'sortir d'la poitrine. Et j'essaierai d'pas me laisser flotter dans l'eau d'la Caroline. Pour pas qu'on veuille m'sauver la vie. Parce que j'veux clairement pas être sauvée. Fuck.