Ombre se déplaçant parmi les ombres. Voilà presque un mois que Devyn était de retour à Edenton. Ses permissions prendraient bientôt fin et pourtant, son avenir était incertain. L’esprit en ébullition. Pour la première fois depuis deux ans, le blond se rendait au marché de noël. Se dirigeant vers le stand des vins chaud, il prenait commande. C’est à se moment la que ses iris furent attiré par une silhouette vaguement familière. Noah. « T’as cédé à Édenton finalement. »

L'odeur du vin chaud embaumait depuis les premières allées du marché de Noël. Des notes qui sentaient bon Noël et les retrouvailles qui approchaient avec les Callahan. Même si l'idée de remettre les pieds dans la familière new yorkaise n'était pas le dénouement qu'il aurait espéré pour cette année. Le libraire aurait de loin préféré avoir l'occasion d'enfin accueillir ses parents et sa sœur dans son nouveau chez lui. Plus si nouveau que ça depuis le temps. 18 mois qu'il espérait les voir prendre la voiture pour rallier Edenton. « T’as cédé à Édenton finalement. » entendit Noah. Un timbre de voix vaguement familier - très légèrement couvert par un titre de Nina Simone - mais des traits qui l'étaient largement plus. Verre fumant à la main, Noah tourna la tête et afficha finalement un sourire franc. "Je pense que tu connais en partie le responsable", dit Noah avec un sourire qui s'élargissait. "Et je lui dois une fière chandelle. Vraiment." poursuivit le libraire. Cette nouvelle vie, loin du tumulte de la ville ; il la devait en grande partie à Devyn. "C'est pour moi," dit Noah en réglant la commande de Devyn, tendant la monnaie au responsable du stand.

Léger rire. « ça doit être quelqu’un d’exceptionnel. Plaisantin. Les ovales pétillants de malice, il détaillait le nouvel arrivant. On peut dire, qu’il n’avait pas changé. De Noah, se dégageait une sorte d’aura intellectuelle. Avec lui, Rylan avait échangé sur la littérature. Lors de leur rencontre, le blond était de passage à New York durant les fêtes. Étant de perms, il avait choisis de passer les fêtes avec quelques connaissance de New-York. S’avançant, le brun lui offrait son verre.
«  Considère que tu m’dois plus rien. » Gobelet en main, il me prenait une gorgée. Liquide réchauffant son corps. « ça fait combien de temps, qu’tu es ici ? »

« ça doit être quelqu’un d’exceptionnel. Le sourire de Noah se fixa sur ses traits. Si Rylan ne lui avait pas détaillé avec tant de finesse les paysages et attraits d'Edenton, Noah serait peut-être passé à côté de cette nouvelle vie. Celle qui lui permettait d'exercer le métier pour lequel il était fait sans devoir conjuguer avec la jungle urbaine. "Considère que je te devrais plus qu'un verre pour te remercier," dit Noah, amusé. L'odeur fruitée du vin chaud lui titillait doucement les narines. Là, maintenant, il avait simplement l'agréable sensation d'être là où il était censé être. Et c'était grisant. "ça fait un an et demi maintenant. Je suis arrivé sous le soleil de 2019, pendant les congés d'été." Il avait rendu les clés de son appartement new yorkais et refermé la porte de la société d'édition qui l'employait, pour la dernière fois. "ça fait un bout de temps qu'on a pas eu deux minutes tous les deux," dit Noah en laissant une gorgée de vin filer entre ses lèvres. "J'ai raté plein de choses, j'en suis certain. Alors si t'as le temps, on pourrait en profiter un peu, non ?"

Un an et demie déjà ? Le temps filait à une vitesse folle. Insaisissable. « Tu m’étonne. » La fois où ils s’étaient vu, remontait à noël 2018. Rylan aurait pu facilement oublier son visage, mais Noah faisait partie de ces rencontres marquantes. Celle qui laissait une trace. « J’ai du temps devant moi. » Portant le gobelet à ses lèvres, il balayait l’assemblée du regard. « On peut faire un tour en même temps. » lançait-il, en ouvrant la marche. « Par hasard, c’pas toi qui a repris la librairie ? J’ai pas été voir, mais j’sais que l’ancienne proprio prenait sa retraite. » Fait étrange, le blond n’avait toujours pas mit un pied dans la boutique. Avec les tests qu’il passait pour devenir pompier, il n’avait pas trouvé le temps, mais ça ne saurait changer.

"ça tombe bien," dit Noah, sans se départir de son sourire. Il suffisait parfois d'un rien, un grain de sable - un twist, dans son jargon - pour qu'une histoire prenne soudain un tournant inattendu. Rylan avait été ce grain de sable dans son quotidien bien trop huilé de NY. Et depuis que la vue de mer avait remplacé celle des buildings, Noah avait enfin l'impression de respirer. D'être à l'endroit où on l'attendait. "Pour trouver de quoi accompagner le vin chaud ? Bonne idée," dit le libraire, son sourire s'élargissant. Il n'avait pas encore pris le temps de déambuler dans les allées, de faire le tour de stands. Il risquait d'ailleurs de ne pas rentrer les mains vides, médiocre cuisinier qu'il était. Noah se pinça légèrement les lèvres. "Repris, non. Mais j'y travaille depuis que je suis arrivé." Il sourit de nouveau. "Et de la retraite qui approche, on en entend parler depuis un an et demi." Noah avala une nouvelle gorgée de vin aromatisé. "Mais je ne suis pas certain qu'elle soit vraiment prête à passer le flambeau. Et en fait, ça nous va bien. On aime tous travailler avec elle. Je crois... je crois qu'on aurait du mal à trouver quelqu'un d'aussi bien. D'aussi accessible. Elle a une conception très moderne du métier," ajouta Noah. "Mais on ne va pas déjà parler de la retraite... Tu voyages toujours autant ? " demanda le libraire.

Doucement, les deux hommes entamaient leur ascension entre les diverses allées du marché de noël. Revoir Noah ici, avait été une bonne surprise pour Rylan. Depuis son retour de Syrie, les choses lui semblaient ne pas pouvoir reprendre leur cours. D’ailleurs, comment revenir ici et espérer récupérer une vie normale. Comme si de rien n’était. Un an d’opération extérieur dans un pays en guerre, ne pouvait pas s’oublier. Alors, voir du mouvement et du changement, l’emplissait d’un souffle nouveau. En le voyant ici, le blond s’était attendu à ce qu’il reprenne la librairie, mais d’après ses dires, la propriétaire n’avait pas l’intention de prendre sa retraite. Que faire après ? La boutique lui permettait surement de ne pas se sentir inutile et de faire partie de la ville. Un léger ricanement quittait ses lèvres. « ça m’étonne pas vraiment. » Nouvelle gorgée de vin aux épices, Rylan se laissait porter par les mots de Noah. « J’vois. Si ça fonctionne, pourquoi changer ? » disait-il, en se plaçant sur le côté pour éviter une bande d’enfant de chœurs. Chant emplissant l’extérieur hivernal. « Pas vraiment et après un an en Syrie, j’avais besoin d’me poser un peu. » L’armée c’était finit pour lui. A l’heure actuelle, il passait en accélérer –grâce à son grade dans l’US Army-, une formation pour devenir pompier. Finalement, lui qui avait évité Edenton depuis la mort de son frère, se retrouvait à ne plus vouloir fuir. « Tu t’es installé dans quel quartier ? »

Si NY vivait à un rythme effréné à longueur d'année, les fêtes n'en étaient qu'une version "avance rapide". Une fourmilière qui ne s'arrêtait pas. Un tableau dont il faisait partie quelques années plus tôt. Noah pouvait désormais pleinement apprécier ces instants sans suivre la course folle de sa montre. Le vin chaud le réchauffait, même s'il était habitué aux hivers rudes. Les quelques degrés de différence entre la ville, protégée par ses hauts bâtiments et ses gaz d'échappement, et la campagne qui se laissait bercer par l'air salin, se faisaient sentir. « J’vois. Si ça fonctionne, pourquoi changer ? » Noah sourit à Rylan. Ils avaient fait un sacré bond dans le temps depuis qu'ils avaient foulé ensemble le sol de la librairie familiale des Callahan. Et pourtant. "Whouah, un an..." dit le libraire en fronçant les sourcils, prenant conscience du terrain miné dans lequel Rylan avait dû vivre pendant des mois. Des scènes de vie qu'il pouvait à peine imaginer, bien trop proches de celles dépeintes dans les ouvrages photographiques spécialisés, qu'il avait déjà eu la chance de consulter. Des clichés empreints d'humanité, pris sur le vif. Magnifiques, poignants. Il inspira avant de croiser le regard de son camarade, pesant soudainement ses mots. "Je crois que c'est impossible - pour personne d'ailleurs - ne serait-ce que d'imaginer les scènes que tu as dû vivre là-bas. Le retour a dû te faire du bien. " Il sourit à son camarade, continuant d'avancer à ses côtés. Son verre à moitié vide. "J'ai une petite maison dans un quartier familial. C'est résidentiel, calme. Rien à voir avec New York." lui glissa t-il. Même si la grosse pomme offrait des points de vue magnifiques, ça n'avait pas suffi à le retenir. Son besoin de liberté avait été bien trop fort. Celle de prendre le large pour se perdre dans la vue de la mer, ici. "Il faudrait que tu passes, un jour. J'ai le minimum syndical comme la chaîne pour les vinyles, quelques bières et de très bons livres." Lui les lisait comme un cyclise confirmé avalerait les kilomètres. "Côté cuisine par contre, j'ai un zéro pointé. Mais tiens, je ferai un effort si tu passes. ça te dirait ?" demanda Noah alors que son regard s'arrêtait sur une étiquette qui indiquait en allemand : Elisenlebkuchen - Pain d'épices.

Un an. En écoutant les mots de Noah, l’homme prenait conscience qu’il était le seul à sembler saisir le sens de c’est douze mois passés en Syrie. La plupart de son entourage était conscient, mais passaient bien vite à autre chose. Pas approfondir. Dans c’est moment-là, le blond se demandait souvent si c’était par soucis de ne bien faire ou simplement parce qu’ils ne voulaient pas imaginer. «  T’es bien la première personne qui m’dis ça. » Sourire sincère sur ses pulpeuses. Rylan jetait un regard à son interlocuteur, tout en prenant une gorgée de vin chaud. « Oui, l’retour fait vraiment du bien. Mentalement, j’avais besoin de couper avec ça. » Cette fois, c’est lui-même qui se surprenait à prononcer de telles paroles. En confiance. «  Carrément ! J’ramènerais l’dessert. » C’était ça qui lui avait manqué : les choses simples de la vie. Les choses qui avaient le dons d’être chaleureuse. « J’suis nul en cuisine, mais à deux, on pourrait faire un truc potable. » lançait-il , avant de laisser échapper un petit rire.

Un an. A quelques semaines près, le nombre de mois qu'il avait déjà passé à découvrir les rues d'Edenton. New York lui semblait parfois sortir d'un ancien livre, qu'il aurait posé depuis bien trop longtemps. Et pourtant, il ne pouvait retirer ce sentiment familier qui le rattrapait lorsqu'il retrouvait les lumières mouvantes des phares des véhicules glissant sur les larges vitres de la libraire familiale. Et cette odeur de gaz d'échappement qui semblait ne jamais quitter les rues de New York... Une autre époque. Et si le vin chaud avait la même saveur épicée que celui qu'il goûtait sur l'imposant marché de Noël de la grosse pomme, son cadre de vie avait gagné en simplicité. "Tu restes quelques temps, j'imagine ?" demanda Noah avec une allusion à ses missions futures. Ils n'avaient que survoler le sujet lors de leurs échanges new yorkais. Lorsqu'ils s'étaient retrouvés à parler littérature au carrefour des rayonnages polars et géographie. "Le rendez-vous est pris alors." dit le libraire avec un sourire. Avant de laisser le vin chaud se frayer à nouveau un chemin entre ses lèvres. "On essaiera de se trouver une date," commença Noah avant d'ajouter. "L'année prochaine." Mis à part ses collègues et quelques connaissances sur Edenton, les visites étaient plutôt rares. Et les Callahan étaient les grands absents malgré les nombreuses perches tendues de Noah. Le libraire s'arrêta devant un stand de pain d'épices avec un regard entendu pour Rylan. "Tu parlais de ça pour le dessert ?" plaisanta Noah avant de jeter un regard circulaire à l'étal. Il en ramènerait bien à New York. "J'en prendrai bien un pour ma soeur," dit Noah avec un regard amusé. Elle qui avait presque la gourmandise pour religion. Un trait qu'elle partageait avec leur mère.