Déambuler dans la ville, voilà ce que j'adorais faire de mon samedi après-midi. Marcher, faire du sport, faire les magasins, aller tester un nouveau restaurant ou goûter la dernière spécialité de pâtisserie au coin de la rue. Bref, je m'ennuyais pas. Le soleil commençait à se coucher déjà, l'hiver était là et nous ne pouvions plus le nier, c'était bien triste. Je poussais les portes de la librairie, j'y étais venue l'année dernière pour la même période et il me semblait bien qu'il y avait pas mal de choix et que je trouverais certainement le bonheur de ma cousine là-dedans, ou pour mes lectures personnelles -acheteuse compulsive que j'étais-

Le rayon bandes-dessinées, pas pour moi.. la politique non plus. Les romances? Mouais, ça permettait de se détendre tout du moins. Une petite dame était à la caisse, je pouvais l'entendre, elle était toute contente de faire plaisir à son petit-fils pour Noel, c'était juste adorable. Je contournais le présentoir et bim, j'te voyais, derrière la caisse.. T'étais libraire ici? Noah ?! j'étais toute autant choquée qu'heureuse de te voir là, aujourd'hui. Dis-moi que ce magnifique lieu t'appartient... un fin sourire sur les lèvres, tu le méritais vraiment.

On était sorti ensemble par le passé et ça avait été beau, vraiment. Mais c'était pas le bon timing et maintenant on était resté en bons termes.

Noah fit glisser l'exemplaire de The Velveteen Rabbit Story dans le sac kraft estampillé avec le logo de la librairie. Non sans un sourire pour la cliente qui lui faisait face, visiblement plus que ravie à l'idée de retrouver son petit-fils pour Noël. Elle avait déjà eu l'occasion d'évoquer le sujet, sans discontinuer, pendant une dizaine de minutes. Noah l'écoutait d'une oreille attentive. Parce qu'elle reflétait l'image même des fêtes. Un enthousiasme qu'il partageait, davantage inspiré par l'idée de passer les fêtes en famille que de retrouver les rues de la grosse pomme pour l'occasion. La quiétude et les vues de mer d'Edenton allaient lui manquer pendant quelques jours. Vous m'en direz des nouvelles, glissa Noah en lui tendant doucement le sac. Si vous ne passez pour la meilleure mamie avec ça... plaisanta le libraire avant de la laisser se rapprocher de la porte de sortie. Très bonnes fêtes à vous et à  bientôt ! Il avait retrouvé le sens des réalités. Le contact, les commandes fournisseurs, l'organisation des têtes de gondoles. Son métier avait pris encore plus de sens depuis son installation à Edenton. Noah releva la tête, persuadé d'avoir entendu son prénom. Une voix féminine qui venait de la droite. ...Lola ? dit Noah après quelques secondes d'hésitation. Deux yeux noisettes reconnaissables entre mille. Le libraire fit le tour de la caisse pour s'avancer vers elle. Celle qui avait toujours été plus qu'un des nombreux numéros présents dans son répertoire. Celle avec qui il avait partagé plusieurs jolis mois de relation dans la jungle new yorkaise. Celle aussi qui l'avait aidé à se remettre sur pied après son accident. Le libraire sourit. Pour toutes ces raisons. Et parce que... ça me fait plaisir de te voir. ça fait quoi, cinq ans ? Ils s'étaient quittés en bon terme mais leurs travails respectifs les avaient rattrapé. Faute de temps, seuls restaient quelques échanges par SMS. Je comprends mieux maintenant. La petite ville de Caroline du Nord... plaisanta le libraire. Et non... Même si l'idée ne lui déplairait pas. Avoir une enseigne à faire tourner, selon ses méthodes, sa vision du monde du livre. Ce magnifique lieu ne m'appartient pas. Comme tu le vois, je ne suis qu'un humble libraire entre ces murs, plaisanta Noah en poussant doucement sur la tranche d'un livre qui dépassait d'une étagère. Bien loin de l'éditeur qu'il était encore deux ans plus tôt. Un costume qu'il ne remettrait pour rien au monde.

Vraiment heureuse de te revoir. Ouais.. quelque chose comme plusieurs années.. j'étais presque toute timide de t'voir, c'était étrange mais très plaisant. Quel hasard on avait de se recroiser ici, comme quoi, le monde était petit.. Et oui! Tu es là depuis longtemps? on aurait pu se voir avant, mais soit, le principal c'est qu'on se soit jamais perdu de vue, même après notre histoire. Tu avais compris qu'à l'époque j'avais encore ce blocage par rapport à Liam et que tu n'aurais été qu'une relation pansement, et j'voulais pas de ça. Mais à l'heure actuelle, j'étais toujours pas arrivé à me poser au final, mh. Qui sait peut-être qu'un jour elle t'appartiendra.. sourire aux lèvres, je regardais les lieux, ça sentait le livre, neuf, le papier et le carton, c'était agréable au possible. Comment tu vas du coup? j'avais eu de tes nouvelles par message il y a de ça quelques semaines, comme à nos habitudes, mais on allait plus dans les détails, c'était dommage.

De jolis souvenirs dans le froid new yorkais. C'était l'image qu'il gardait en tête. Avec Lola, tout avait été simple. Pendant quelques semaines - pendant et après son hospitalisation, elle avait été sa bulle d'oxygène dans un quotidien qui commençait déjà à en manquer. Je dirais un an et demi, à peu près, dit Noah avec un sourire. Il était arrivé en plein milieu de l'été, troquant enfin la vision des glaciers de ville coincés entre deux rues bétonnées contre celle de la mer calme et des devantures accueillantes d'Edenton. Un nouveau départ, autant dans sa vie que dans son métier. Un retour aux sources, loin de la course que son métier dans l'édition lui imposait. Un rythme qui n'était pas lui. La folie new yorkaise aura eu raison de moi, ajouta Noah, amusé. Si la vue des buildings l'avait accompagné pendant presque 30 ans, il leur préférait largement l'air salin et les randonnées que les paysages du coin lui permettaient. Siroter une bière en laissant tourner un vieux vinyle sur sa chaîne était devenu son seul luxe. Et le seul dont il avait besoin. Le propriétaire est vraiment top, répondit le libraire. On organise pas mal d'animations, de soirées de dédicaces... On communique régulièrement sur Instagram, plaisanta Noah qui postait ponctuellement dessus, en fonction des besoins de l'enseigne. Une librairie vivante, qui savait se rendre accessible. Et être derrière le comptoir ne me déplaît pas. En fait, ça me suffit amplement, pour le moment, poursuivit-il. ça va mieux que bien, dit-il avec un sourire engageant pour un client qui venait d'entrer dans la librairie. Toi, comment ça va ? Tu as enfin pu poser tes valises ? Sourire du libraire. Noah avait le souvenir que Lola voyageait régulièrement pour son travail.

Le temps filait à une vitesse folle et quand on recroisait des personnes de notre passé, on se prenait une claque dans la gueule. Edenton est bien plus calme.. mais avec tout son lot de méladrame aussi. Mais c'était beaucoup plus apaisant en tout cas, j'pouvais pas dire le contraire. Des clients rentraient et tu les saluais, tu avais l'air apprécié en plus, j'étais vraiment heureuse pour toi, et contente de te voir là. Oui ça va.. écoutes après les fêtes j'emménage en colocation dans l'centre et j'suis toujours infirmière mais à domicile depuis que j'suis ici. c'était plus simple, j'étais mon propre patron. Tu savais néanmoins que je n'avais pas besoin de travailler pour subvenir à mes besoins. Ma famille avait énormément d'argent et au décès de mes deux parents, on avait hérité avec Emrys de tout ça. J'attrapais le livre pour ma cousine. Tu peux m'emballer ce livre? j'avançais au comptoir. A l'occasion, j'ai pas changé de numéro, si t'as besoin de quoi que ce soit, ou pour qu'on se recapte.. sans aucune ambiguïté, j'dirais pas non à un verre avec toi.

Noah laissa courir ses doigts sur une étagère. A qui le dis-tu, dit-il avec un nouveau sourire. Noah avait gagné sur tant de tableaux. Le confort de vie à Edenton était incomparable, le cadre était magnifique - libre de toute pollution. Et Noah accueillait les régulières bourrasques et l'air marin avec plaisir. Le premier chapitre d'un nouveau livre, c'était un peu ce qu'il était. Toi en colocation... dit-il avec un léger haussement de sourcils, ça doit donner. Lola était aussi abordable que pleine de vie, à cueillir la vie du bon côté. Un puit d'optimisme sans fond, aucun. Il se savait chanceux de la compter parmi ses amis, même s'ils avaient emprunté des chemins différents. De leur passé new yorkais, un lien tenu restait et resterait. Si tu as besoin d'aide pour ton déménagement, en tout cas. N'hésite pas. Tu sais où me trouver maintenant. ajouta Noah avec un sourire qui s'élargissait. Si besoin, je suis certain que mes collègues sauraient aussi se dévouer. La cohésion qui régnait au sein de l'enseigne lui faisait plaisir. Lui qui était pourtant le dernier arrivé. Ils l'avaient accueilli à bars ouverts, comme s'ils arpentaient les même allées - aux étagères chargées d'ouvrages - depuis toujours. Le rythme est un peu plus calme à domicile ? demanda Noah sans quitter la caisse du regard. Bien sûr, répondit le libraire en récupérant le titre que Lola lui tendait pour se diriger vers le comptoir. Il était aussi piètre dans l'exercice que lorsqu'il s'agissait de suivre dix lignes d'une recette, mais s'améliorait chaque année. Il pouvait dire merci aux fêtes et à ses cascades d'emballages colorés pour ça. Quand tu veux, Lola. Je pense être passé à côté de pas mal de jolis coins d'Edenton. ça peut être l'occasion. Le libraire glissa l'achat de Lola dans un sac kraft estampillé et le lui remit. Et si je ne te recroise pas d'ici là, bonnes fêtes, légèrement en avance. Boas festas ! Quelques mots d'espagnol glissés, quelques souvenirs lointains de ses études en langue lors de son MBA à la grosse pomme.