Ça boit et ça boit et ça boit encore. Un soir normal pour toi. Avec des amis, avec personne, tu te fais des nouveaux amis ou tu t'en trouves d'autres, où tu colles aux baskets de Freya quand elle est là. Au moins ici tu peux gueuler, chanter, faire la conne. Être le clown de la fête et pas te faire arrêter, ou presque. Mais c'est pas grave, ça te dérange pas d'être la mascotte, sinon tu ferais quoi ? Te taper des déprimes à la maison devant rien, avec rien, à matcher avec les mêmes vieux mecs sur Tinder et te dire que tu pourrais réessayer à jeun avec une nana, juste pour voir si tu pouvais pas voir. Toutes des belles conneries auxquelles tu ne penses pas là. L'alcool joyeux avec quelques connaissances postées au bar à rire trop fort. Avec Johnny, 67 ans, un ancien tenancier de bar qui ne sait plus en sortir malgré sa retraite. Qui bois sa bière blonde avec du jus de tomate et qui grommèle quand il parle. Et plus il boit, moins on comprend. Et il boit beaucoup. De l'autre côté il y a Bob, qui te racontes ses histoires avec ses maitresses, bien plus intéressantes que ses histoires avec sa femme. Te raconte ses blagues sales et te dragues même s'il a aucune chance et que tu lui promets que quand il aura gagné la lotto, tu le marieras avec plaisir. Vieux Bob. Johnny grogne un truc avant de se lever et de marcher n'importe comment. Bob et toi comprenez que c'est l'heure de partir. Un bras autour du coup de chacun, vous le sortez pour le poser dans la voiture de Bob. Bob qui ramènera Johnny, mais qui croit pas revenir boire avec toi après. Il a une coquine à aller voir, qu'il dit et tu rigoles même si, beurk. Parce que d'imaginer une vie sexuelle à Bob, c'est très weird.

Tu reviens donc dedans, attrapes ton verre au comptoir et faisant les yeux doux pour qu'on te le remplisse. Le corps léger qui bouge sur dancing queen tandis que ton regard cherche autours. Les yeux qui se posent sous la prochaine victime quand tu te diriges vers elle. Te glissant sur la banquette, le postérieur venant se cogner contre le bassin de @Jack Murdoch. « Murdoch ! » Envahissante, le bras autours de ses épaules et ton verre qui va cogner sa bière pour un cheers sans sa participation vraiment. Posant ton verre sur sa table, replaçant une mèche devant ses yeux, tu te penches un peu plus vers lui et demandes. « Tu sais quelle heure il est ? » Le sourire complice, le sourcil arqué. Toi, tu sais, quelle heure il est.

Décidément, cette petite ville de Caroline du Nord manquait cruellement de vie sociale et d’activité nocturne. Jack l’avait compris des années de cela, une fois qu’il avait testé les restaurants et les bars de la ville et avait décidé de faire du Governor’s son quartier général. De client occasionnel, il en était devenu un des piliers, à l’image de Bob ou de Johnny et se contrefoutait pas mal de l’image qu’il donnait aux autres. Pourtant, ce soir-là, il fallait entrer dans une colère noire lorsqu’il s’aperçut que sa place habituelle au bout du comptoir, loin de la foule et à côté des verres vides et des assiettes empilées, avait été prise par quelqu’un d’autre. Mais le marin s’abstint de taper un scandale pour la simple et bonne raison qu’il portait encore au visage les stigmates de son altercation avec le chef de la police. Si Freya l’avait laissé revenir, il ne se sentait pas non plus en odeur de sainteté dans les parages et faisait en sorte de se comporter en client modèle. Aussi s’était-il rabattu sur une banquette à la place du comptoir, et avait continué ce qu’il faisait de mieux depuis des années : enchaîner les pintes.
Ce nouveau point de vue lui donna l’occasion de laisser son regard vagabonder sur les clients présents ce soir, intercepta des bribes de vie d’inconnus qui se laissaient aller. Il aperçut même du coin de l’œil la jolie Bex, charmante petite tornade à la chevelure dorée qui semblait prendre un malin plaisir à profiter de sa soirée. Murdoch se fit petit au moment où il la vit, espérant échapper au calvaire de Bob et Johnny. Elle l’amusait beaucoup, la petite Banasiewicz mais il avait passé l’âge de pouvoir la suivre jusqu’au bout de la nuit avec autant de vitalité. C’était en tout cas ce qu’il avait appris par le passé à ses dépens. Perdu dans ses pensées, Jack n’avait pu voir le mal arriver, mais à l’instant où il sentit une paire de fesses se coller contre ses cuisses et un bras passer autour de ses épaules, il sut qu’il était cuit. « Bex. » trinque-t-il avec elle sans oser prononcer son nom de peur de l’écorcher. « L’heure de rejoindre les draps de Bob ? Ou de Johnny boy ? Des deux ? » lui demande-t-il avec une légère pointe de sarcasme dans la voix, même si après tout, il est assez content de la retrouver.

Le congé de Bob et Johnny est aussi doux qu'amère, surtout quand tout ce que t'as à te mettre sous la dent désormais chez les ivrognes de la ville, c'est le vieux loup de mer. Pas les cuisses chaudes de Freya sur qui faire tanguer ta sexualité. Pas de Charlie qui vient pour remettre de l'ordre dans les têtes emmêlées. Rien que Jack et ce soir, ça te va. Parce que l'emmerder à ta façon semble une excellente idée. Le sourire bourré qui s'étire sur tes lèvres quand il dit ton nom. Et t'as oublié, déjà ta propre question. Te perds dans un rire beaucoup trop fort que ta mère te dirait de taire d'un ''chut'' à t'en retourner tous les nerfs. Elle est pas là, donc tu ris comme tu veux, trop fort s'il faut, à en faire sursauter les clients presque endormis à l'autre table. Et ton bras ne va nulle part, reste bien accroché derrière la nuque de Jack. De ta main libre, tu prends bien une immense gorgée pour ravaler les images qu'il vient de faire naître dans ta tête.

« Bob voudrait assurément me caser dans un plan à trois avec son amante et j'suis pas certaine de savoir survivre à ça. Johnny me ferait sans doutes une crise de coeur entre les cuisses après tout son dirty talk incompréhensible. Non, mais sérieux, t'as déjà compris plus de deux mots de Jo ? Non. J'préfère encore les tiens, Murdoch. Mais c'est pas le temps de les rejoindre là. C'est l'heure de... » Dans ta connerie, dans ton ivresse tu t'approches trop de lui, ton nez qui vient presque se frotter au sien, mais c'est pas grave, tu ne t'en souviendras pas demain. Ton verre se pose et sans te reculer, il y a tes doigts qui viennent s'enlacer aux siens. Les lèvres qui se tendent vers les siennes pour lui murmurer. « C'est l'heure de danser ! » Et puis tu profites de la diversion pour tirer sur ses mains pour le relever de cette putain de banquette dans laquelle il ne tardera pas à se soudre s'il continue. Il sait encore marcher, le vieux loup de mer, non ?

L’image du plan à trois entre la maîtresse de Bob, ce dernier et Bex arrache une grimace au marin qui n’était pas prêt pour imaginer une telle situation. Elle l’amuse et il reste là à boire sa bière, espérant qu’elle soit déjà suffisamment atteinte pour ne pas l’emmerder trop longtemps. Murdoch pressent déjà que cette soirée va mal se finir et il s’était imaginé quelque chose de plus tranquille lorsqu’il avait poussé les portes du pub de Freya ce soir. Mais il n’a pas le temps de dire quoi que ce soit qu’il est entraîné vivement par Bex au milieu de la piste de danse. Jack renverse la moitié de son verre, laisse échapper un juron bien placé entre ses lèvres et se retrouve comme un con au milieu des autres clients de la soirée dans l’espace qui servait de piste de danse. « Ah non non, j’crois pas non ! »essaye-t-il lamentablement de se défendre devant l’envie de la blonde. La danse n’était pas vraiment pas son truc, et il n’avait jamais aimé ça. Jack était aussi coincé que quelqu’un qui avait un manche à balai bien coincé dans le cul, et pire encore, il devait être aussi souple qu’une barre à mine. Alors de là à se déhancher ou à trémousser son popotin en compagnie de Bex, c’était tout simplement hors de portée pour lui. Son verre désormais à moitié vide, une tâche de bière empiétant sur sa chemise froissée et son jean, il sait qu’il lui faut réagir vite s’il veut reprendre le contrôle de la situation. Alors il attrape un mec au hasard, la vingtaine, vingt-cinq ans tout au plus. « Hé, toi là, la dame elle veut danser. » lui ordonne-t-il sur un ton quasi-martial alors qu’il le prend par l’épaule et le fout dans les bras de Bex, espérant que ce répit lui laisse suffisamment de temps pour rejoindre sa banquette, ou récupérer ses affaires et s’éclipser sans demander son reste.