Boule au ventre. Sens en alertes. J’ai bien conscience que c’est complètement stupide de réagir de la sorte. Après tout, Wade et Andrew sont mes frères d’armes, des mecs à qui j’ai confié ma vie et j’ai bien fait de le faire. Je suis encore là aujourd’hui. Et là est bien le problème. Ma survie ici a entamé un sacrifice. Un de plus rudes qui soit. Jared était notre ciment, la force qui nous unissait et tout a volé en éclats quand il est parti. On a rongé nos culpabilités, détruits, isolés. Et j’ai jamais osé vraiment reparler à Wade. Je sais que tout comme moi, une part de lui s’est effondré avec la mort de notre meilleur ami. J’ai voulu poursuivre ma vie comme si de rien était. Me concentrant sur ma femme, mes enfants. Quittant l’armée d’abord parce que survivre et penser voir chaque jour son visage, c’était juste trop. Anna m’a convaincu, je devais apaiser mes démons, me confronter à Lui. Tenter de recoller les morceaux d’un puzzle désormais incomplet. Alors je suis une grande gueule, un furieux enflammé jusqu’aux phalanges, le gai-luron de la bande, du moins c’est ce que j’étais et j’en mène pas large aujourd’hui. Clope aux lèvres pour oublier les tourments. Pour tenter d’amorcer mon Everest personnel. Vaine tentative de rédemption.

J’sais pas ce qui me prend aujourd’hui. Je suis en retard et jamais ça ne m’arrive. J’ai du mal à regrouper la paperasse pour la réunion et va savoir pourquoi, ma jambe me fait terriblement mal aujourd’hui. À croire que les astres sont contre moi. J’aurais peut-être dû en parler à Wade pour la visite qu’on aura ce soir, mais pour être honnête si je l’avais fait, il ne serait jamais présenté. Le corps stressé, le cœur gros en sachant que cette rencontre qui s’veut positive peut risquer de tourner mal à tout moment. Je ne regrette pas, mais m’poser des questions ça maintenant parti de mon quotidien et là je doute que j’aie l’idée du siècle. Je gare la voiture puis à peine arrivé à la porte de l’établissement je m’approche de toi @elijah reyes. « Si ce n’était pas du fait que je ne fume pas, je t’en aurais bien pris une.Nerveux ?  » Que je lâche en pointant ta cigarette. « Ça s'passera bien. » C'est peut-être pas ce que tu crois, mais j'ai bon espoir - ou presque.  Peut-être te trouves-tu dans un autre état d’esprit ? J’ose pas demander pour le moment je viendrai à savoir. Je te donne une petite tape sur l’épaule amicalement. « Viens, on rentre. Il doit y avoir des gens d’arrivé déjà. » Je te souris.  

Je suis tout seul noyé dans mes volutes, dans la douleur de ces souvenirs mais surtout l’amertume de cette perte. Tu te doutes pas Andrew que je la sens chaque jour dans la chaleur de ma gorge. Que je plaque un masque désormais trop figé pour mes noirceurs, pour des plaies qui guériront jamais. On parle de syndrome du survivant, mais on évoque jamais la croix qui vient meurtrir les épaules, cette envie perpétuelle de crier, de tout envoyer se faire foutre pour de bon. Et puis, la peine qui vient assaillir ensuite. C’est honteux à dire mais j’en viens à penser que parfois la mort doit être plus confortable. Héros enterré, recouvert d’une terre qui comblera les silences que les vivants affrontent à chaque nouvelle aube. Comme une effroyable pénitence. Parce qu’on ne peut pas avouer ce sentiment, parce que c’est se plaindre d’une chance qu’on nous a offert. J’y vois pourtant une malédiction. Un prix trop lourd à payer. Une ambivalence trop cruelle pour l’incarner. Je te vois sortir de ta caisse Andrew, impeccable, traits tirés, sans doute aussi soucieux que je peux l’être. « Ouais mais ça va aller. » Sourire de façade, petit rire glissé. Tu me fais une fleur et je vais tenter de pas piétiner l’offre, je veux avancer. Même si la peur me transperce. « Ouais ! » Je hôche la tête, écrasant la clope dans le cendrier au dehors. Mes épaules se haussent. Faut que ça se passe. « J’te suis. » Regard désinvolte, stature prestante et qui pourtant voudrait se faire oublier. Ombre vivante qui vient incarner l’absence fantomatique d’un Autre. Le plus fidèle de nos alliés.

Tu ne dois pas te douter d’à quel point je me sens nerveux. Tu n’dois pas non plus savoir que j’ai peur qu’il prenne cette rencontre pour une insulte, voir une trahison. Après on discute depuis un moment toi et moi, mais Wade il ne sait rien. Cette rencontre je l’ai improvisé à son insu parce que j’ai jugé que s’en était assez, mais au fond j’suis qui moi pour décider pour les autres ? M’enfin, ma main sur ton épaule je t’invite à entrer alors que je salue un peu les gens que je connais.  Je montre où t’asseoir et j’attends que tout le monde sois arrivé avant de commencer la réunion - voir le principal intéressé.  J’sais pas comment il le prendre, mais je j’espère de tout mon cœur qu’il assistera à cette rencontre même si tu es là et que j’ai osé le mettre devant le fait accomplis. Je te regarde mon ami, sourire se voulant rassurant, puis avant même que j’aie le temps de te dire quoi que ce soit notre frère il entre. J’crois qu’à s’moment précis mon cœur s’est arrêté. Va savoir pourquoi un truc si banal m’rends si nerveux alors qu’On n’a déjà vécu bien pire. « Maintenant que tout le monde est là on peut commencer. » Que je lâche en me levant pour accueillir Wade.  Je prends une grande inspiration le fixant histoire de cerner son humeur, histoire de voir comment la rencontre pourrait se passer. « Aucune thématique pour la rencontre de ce soir, mais est-ce qu’il y aurait quelqu’un qui aimerait commencer ? » J’aurais dû présenter les nouveaux, mais une étape la fois – juste pour lui laisser le temps d’assimiler ta présence.  

J'déteste toujours autant venir ici. J'sais pas pourquoi je m'entête à venir depuis deux ans, peut-être parce qu'Andrew m'ferait trop chier autrement, qu'il me laisserait pas tranquille si je n'acceptais pas d'au moins venir m'assoir pour écouter mes frères parler de leurs problèmes. Le fait est, j'crois fermement que ça ne nous sert strictement à rien de venir ressasser le passé ici. Une fois de plus, je débarque avec la mine basse et les mains enfoncées dans mes poches. Plus maussade que jamais, on me confondrait probablement avec Jayden à force. J'entre un peu à la bourre moi qui a l'habitude d'arriver d'avance pour pouvoir prendre un café en paix et vais directement pour m'assoir. Enfin, c'était sans compter l'expression qu'Andrew me lance. Je fronce les sourcils et, direct, mon regard fait le tour de l'assemblé et s'arrête sur Reyes. J'avale de travers et dévisage Andrew. J'veux pas faire une scène alors j'prends sur moi et vais m'assoir, mais j'ai le coeur qui veut me sortir de la poitrine. C'est quoi ce bordel?