Pour ne pas perdre le nord, encore faudrait-il déjà l'avoir trouvé. Il ne pense pas que ce soit son cas, voilà bien trop longtemps qu'il erre, à chercher quelque chose qu'il est incapable de trouver, car incapable également de définir. Merci. Réception du sachet contenue leur futur méfait. Il se lève du canapé, le temps d'aller fouiller dans un tiroir du coin cuisine. Son bonheur trouvé, il revient se laisser tomber sur le canapé. Gorgée d'alcool qui descend le long de sa trachée. Le voilà déjà affairé pour en rouler un premier. Coup d’œil en coin sans s'arrêter. T'es pas censé être clean pour être pompier ? Il ne sait pas comment cela fonctionne. Il suppose qu'il y a au moins une prise de sang à laquelle il serait direct recalé. Léger haussement d'épaules, le premier terminé, il le fait glisser sur la table basse vers lui, puis même gestes répétés.

Les prunelles fatiguées, le blond l’observait entamer ses travaux. « T’es perspicace dis moi » raillait-il. «  J’ai déjà fais ma prise d’sang. La prochaine est dans deux semaines. » Un joint ne pouvait pas faire de mal. A éliminer, il mettrait quelques jours. Abaissant sa carcasse, Rylan attrapait le premier joint. « T’as un briquet ? » N’étant pas fumeur de base, il y avait peu de chance pour qu’il en est un en sa possession. Aussi, lorsque Jay le lui donnait, le blond allumait le joint. Tête rejetée en arrière. « T’as réussis ?.. J’veux dire à dépasser ... tout ça ? » Les souvenirs de guerres. Ceux qui hantaient l’esprit. Jayden était peut être pas soldat, il avait pourtant fait partie des leur. Même en étant reporter de guerre, parce que ce qu’ils montraient à travers ses reportages, avait été vrai. Sans fioritures.

Deux semaines, autant dire quelques jours de débauche en perspective. Du moins, c'est ce que lui ferait. Il sort un briquet de son jean et lui file avant de le récupérer pour allumer son joint. Il va pour se servir un nouveau verre. Sans doute qu'il boit de trop déjà, que l'alcool va lui monter à la tête et embrumer son cerveau. Pour le moment il tient encore le cap. Il est même calme. Jusqu'à une certaine question tout du moins. Fumée rejetée vers le plafond sans regarder le blondinet. J'crois pas qu'on puisse le dépasser. On s'habitue et on finit par vivre avec. Ces horreurs qui rythment le monde, cette lumière sur la vérité qu'une minorité comme lui tente de montrer à la face du monde, celle qui ne veut rien voir. Tu fais des cauchemars ? De ce qu'il a vu, ou peut être de la mort de son frère.

On s’habitue. Réaliste fatalité, auquel on ne pouvait rien faire, car oui, il avait raison. On s’habituait. On continuait de vivre avec un esprit encrassé par la dureté de la vie, tout en espérant que le cerveau ne pete pas. Qu’on ne fasse pas de stress post traumatique. Lui, avait eu cette chance. Du moins, en partie. Tirant une latte, le blond laissait sa fumée se mêler à celle de Jayden. Dans le mille. Mettant le doigt sur un de ses problèmes, Rylan commençait par garder le silence. Brouillard englobant leur silhouette. « Comme la plupart. » Un pale rictus apparaissait sur ses traits, avant de disparaître. Fugace. « Les gens comprennent pas forcément. Te dise qu’tu tires une sale gueule, mais la plupart des civils se rendent pas compte de c’qu’on peut vivre. » Et le on, englobait bien sur Jay. Sans s’en rendre compte tout de suite, la serpentine de l’homme se déliait. Prenant une nouvelle dose de son joint, il laissait les armes s’abaisser. 

Question qui semble dérangeante vu le silence qui la suit. Instant de réflexion. Il se demande s'il va trouver le courage d'aborder le sujet même s'il n'y a pas grand chose à dire. Ils savent qu'il y a une différence entre voir un cercueil revenir avec un drapeau dessus et voir un corps tombé au combat. C'est d'autant plus dérangeant et sans doute traumatisant quand c'est celui d'une personne connue, appréciée et aimée. Il ne dit mot, acceptant qu'il choisisse l'option du silence. Il faut croire qu'il a besoin de parler. Ou ce sont les effets de l'alcool combiné au joint qui délient enfin sa langue. Il hausse légèrement les épaules. Les trois quart des civils ne bougent pas de ce canapé et pensent voir le monde à travers cet écran. Léger signe de tête en direction de la télévision éteinte. Société moderne qui se plait à vouloir clamer se préoccuper de divers sujets mais qui, bizarrement disparait quand il s'agit de faire face à ses responsabilités et à la réalité.  

Le temps défile dans une lente agonie. Fumée prenant forme. Elle laissait apparaitre des formes. Fantôme d’ancienne mémoire. Pendant un instant, l’homme se perdait dans les limbes de ses souvenirs. Le retour du corps sans vie de son frère lui apparaissait toujours comme étant la pire. Cruelle ironie. Face à ça, il y avait des visions bien plus alarmante. Comme les hommes qu’il avait tués sans voir leur visage. Se contentant uniquement de les compter comme un point durement gagné. Il y avait aussi la misère de la survie et la peur. Durant ses quatorze ans dans l’armée de terre, tout ça, lui était apparu comme banal. Sur le moment. Parce que plus les années s’étaient écoulées et plus le fardeau caché, s’était révélé. Quittant le corps militaire, il était à présent livré à lui-même. Sans avoir ne serait qu’une once de courage pour payer un psy. Liquide ambré étanchant sa soif. Rylan vidait le verre comme pour couper court à ses noires pensées. Atmosphère alourdit. La voix de Jayden, le ramenait parmi les vivants. Machinalement, ses topazes suivaient le regard de son ami. Factice vérité. L’écran vide n’était qu’un émetteur de fausses informations. Informations chimériques censées rassurer l’homme. Lui conférant ainsi, une sécurité faussée. « Oué. » Amertume marquant ses traits, il prenait une nouvelle taff. « Et toi ? T’en fais ? » Conscient de plomber l’ambiance, il était pourtant trop tard pour faire demi-tour. Non ?

Pourquoi sont-ils là à parler sérieusement ? Le sérieux, c'est un sujet qu'en général il fuit. Sujet de discussion dérangeant, qui le pousse à tomber le masque. Celui du connard qu'il se complait à jouer. Rares sont les personnes qui voient son autre facette. En général, il n'y a que Wade. En de plus rares occasions, Rylan. Faut croire que la fatigue de la veille, la douleur, l'alcool et le joint ne font pas bon ménage et délient un peu sa langue. Question qui lui est posée. Non. Réponse non hésitante. Il ne ment pas. Lui n'a jamais eu à tuer des gens. Il a vu des horreurs certes mais jamais il n'a du retirer une vie sur un ordre ou pour préserver la sienne. Il ne sait pas ce qu'on ressent dans ce moment là, et n'aimerait pas le savoir. Cela ne l'empêche pas pour autant d'avoir un esprit torturé, accroché à un passé plus lointain, parfois même plus récent. Pas sur les horreurs du monde en tout cas. L'accompagnement jusqu'à la fin de Jill a été éprouvant pour lui. Voir Jared étendu sur le sol également surtout vu la discussion qu'ils ont eu la veille de sa mort. Ce sont les deux visages qui le hantent encore parfois même si ça a tendance à s'estomper au fil du temps. Il se doute qu'il va tenter d'avoir des détails sur les cauchemars qu'il fait même s'il caresse l'espoir qu'il n'empruntera pas cette pente dangereuse.

Pas sur les horreurs du mondes. Mais sur les siennes. Après tout, on était tous habité par nos propres cauchemars. Certains en ressentaient les effets plus que d’autre. Et Jayden faisait sans conteste partie des gens marqués à vif. Pourtant, de lui Rylan ne connaissait pas autant de chose que son frère, mais cela n’empêchait pas le fait qu’il en avait la certitude. Ça se voyait sur son visage. Dans son regard. La façon dont il avait de détourner les choses et de transformer des sujets en futilités. « C’est la merde. » Laissant son regard dérivé sur le plafond, le blond prenait une nouvelle taff. Fumée ensorcelante. Balader dans les méandres de ses souvenirs, il laissait la grisaille brume alléger leur poids.

C'est la merde. Phrase balancée, englobant un contexte beaucoup plus général que le leur. Il reste un peu pensif face à cette affirmation, ne trouvant pas de réel intérêt de le dire à voix haute. Il fait parti de ceux qui ont vu bien trop de désillusion pour caresser l'espoir que le monde changera. Si dans le passé, avoir un enfant était une réelle envie, celle-ci s'est estompée et n'existe plus. Déjà car la seule mère potentielle n'est plus de ce monde. Et ensuite, quand il a repris la route durant quelques années, il n'a plus vu le monde de la même façon. Il voyait encore les beautés mais il les trouvait plus fades. Il décide alors d'interpréter différemment les mots de Rylan, revenant sur un sujet qu'il a habilement écarté en le faisant revenir sur lui. Tu t'sens prêt en vrai ? A tenter cette relation dans laquelle tu seras jamais unique ? Car ça, c'est la merde. Prunelles fixées sur le plafond. Air ambiant qui n'est plus le même, à juste titre vu qu'ils fument. Il songera à aérer, un peu plus tard.

Déjà loin. De lui, il éloignait les pensées funestes. Préférant se concentrer sur l’instant présent. T’es ici maintenant. Le murmure de sa consciente tentait vainement de le rassurer. Finalement, c’est Jayden qui le ramenait. Sur le tapis, il remettait le sujet qui semblait interpeller tout le monde. Lui. Emrys. « C’déjà le cas. Non ? » L’ironie de la situation venait étirer ses lèvres dans un rictus. Rictus qui se dégonflait rapidement. « J’sais pas où ç’va me mener, mais j’ai rien à perdre. » Il y avait pire qu’un cœur blessé, non ? Si ça tournait mal, il pourrait toujours s’en remettre. Pas vrai ?

Il ne juge pas, pourtant il a du mal à comprendre. Il s'interroge. Certes il a un entraînement militaire, de l'entraînement mental pour beaucoup de choses que de simples civils ne sauraient endurer. Mais s'il est entraîné pour que son esprit ne se brise pas, peut-il en dire de même pour ce qui est de son cœur ? Alors oui, c'est la merde. Et quand il lui affirme qu'il n'a rien à perdre, lui n'est pas tout à fait d'accord. Si tu le dis. Au pire, tu rempileras dans l'armée. Parallélisme avec sa propre vie. Il avait abandonné les reportages pour Jill. Quand son cœur s'est retrouvé broyé en plusieurs morceaux, il est direct reparti. Sans hésitation, sans même réfléchir. Pour se sauver en quelque sorte, non pas fuir mais vraiment sauver son âme.

Embrumé par l’aqua qui prenait forme, Rylan réussissait à poser un œil vitreux sur Jayden. Silhouette brumeuse. Dans sa réponse, le blond avait parfaitement saisie le sous-entendu. Quand on était brisé, on avait tendance à revenir dans un vieux schéma. A se complaire dans un truc qui nous paraît rassurant, car il n’y avait aucune surprise. N’était-ce pas ce qui c’était passé pour Jay ? De lui, il ne savait pas autant de choses que Jared ou encore -grimace- Wade. Mais il en savait suffisamment pour voir que l’homme qui lui faisait face, était tout sauf complet. Pas depuis sa femme. « On pari ? » Ridicule détournement.

État brut. Il finit par écraser son joint sans même le terminer. Son verre est repoussé sur la table basse. Ses mains se posent sur son ventre, au niveau de son hématome. Ses prunelles vers le plafond car il s'y déroule tout un monde. Celui de son propre passé alors qu'il suggère un futur incertain à Rylan. Incertain ou fort probable en fait, il ne saurait le dire. Il tente de l'avoir en lançant un nouveau pari. J'te coûte pas assez cher on dirait. Sur le fond, il pense d'avance qu'il gagnerait ce pari. Mais sur la forme, il sait qu'il le perdra. Non pas car Rylan est assez têtu pour le gagner. Il est plutôt du genre assez masochiste pour se faire du mal et s'y complaire. Comme s'il le mérite en quelque sorte. Il hausse les épaules, ce qui lui arrache une grimace de douleur. Il commence à fatiguer même si le joint l'a bien aidé à se détendre.

Pupilles dilatées et rictus faiblard sur ses pulpeuses. « C’que tu crois. » Abyssale regard posé sur son interlocuteur, Rylan savait. Il savait qu’il y avait de fortes chances pour qu’il fonce dans un mur. Du moins, qu’il y laisse quelques plumes. Se redressant à son tour, il limait le bout de son joint pour le ranger dans sa veste. Pour plus tard. Un coup d’œil sur sa montre, interpellait son attention. Sa mère et ses foutues réunions de famille. « J’vais devoir y aller. » Face à lui, Jay’ montrait des signes de fatigues. En partie dû à ses blessures. Quittant définitivement sa place, il se redressait. « Repose toi pour t’refaire une gueule. » le taquinait-il tout en se dirigeant vers la porte. Marquant une pause, Rylan lui lançait un dernier regard. « Si t’as besoin d’quoi que ce soit..hésite pas. » Trop pudique pour l’admettre à haute voix... parler avec lui, lui avait fait du bien. D’une certaine manière. Il savait que de tous, Jayden était le mieux placé pour comprendre ce qu’il avait vécu, car lui aussi, l’avait vécu. A sa manière.