C'est comme un silence pesant dans lequel on se complait. La nuit est tombée depuis bien longtemps, l'heure doit approcher minuit. La porte du mobil-home est légèrement entrouverte. Il n'a pas pris la peine de la fermer en rentrant. Épuisé physiquement mais surtout psychologiquement, il a pris une bouteille de whisky déjà moitié vide et s'est trainé jusqu'à son bureau qu'une faible lumière éclaire. Affalé sur le vieux canapé élimé, il n'a pas bougé depuis, se contentant de prendre sa guitare pour gratter à de très rares moments un accord dessus. Il a bu une gorgée d'alcool mais la bouteille trône depuis à ses pieds sans se vider davantage. Les images de l'hôpital lui reviennent en tête. Aussi bien celles du présent que celle du passé. Il fumerait bien un joint mais son stock est planqué dans sa valise, restée à l'aéroport. Il gratte les cordes, laissant le son s'amplifier dans la pièce, puis il attend, le regard dans le vide que le silence reprenne place durant quelques minutes. Puis il recommence. Inlassablement. Tel un robot sans âme.

Lorsque j'ai appris pour l'accident du vieux Rhodes, j'suis directement aller à la ferme pour trouver Mrs. Rhodes et voir que tout allait bien pour elle. Elle m'a raconté l'incident avant de m'dire qu'elle s'inquiétait pour toi. Sensation de déjà vu. T'as déjà traversé suffisamment Jayden, alors pourquoi la vie s'acharne à te faire revivre ce genre de chose? Il est pas mort le père Rhodes. Mais la crainte est la même, pas vrai? Alors c'est avec l'adresse de chez toi que j'quitte la ferme et fend la nuit à bord de ma Camaro 67 avant de me garer. Ironie. T'habites en face de chez Dax, c'était quoi les chances? Bref. Je sors et m'approche de la porte qui n'est pas fermée. Je panique un instant, est-ce qu'on t'aurait cambriolé? J'marche plus vite et ouvre sans taper, entendant finalement le son d'une guitare. Jayden?

Un moteur de voiture parvient à ses oreilles et s'arrête apparemment non loin de chez lui. Il ne bouge pas, ne cherchant pas à savoir. Il n'attend personne de toute manière. Il ne devait même pas être là mais déjà à l'autre bout du pays. Quelle ironie du sort. Il n'a même pas prévenu qu'il partait. Le seul au courant c'est Wade qui a tenté de le faire réfléchir indirectement. ça a fonctionné. Il a réfléchi mais rien n'a pu le faire changer d'avis. Il avait besoin de changer d'air, et pour quel résultat. Il est toujours à Edenton dans ce mobil-home pourri à se faire du souci pour un paternel avec qui il est régulièrement en conflit à cause d'une stupide ferme qui a failli le tuer. Voici le triste bilan de sa vie en cette nuit. Il entend un bruit, tend l'oreille. Il lui semble que quelqu'un vient de l'appeler. Il n'a pas fait attention, n'a pas reconnu la voix. Qui que soit cette personne, elle finira par partir quand il verra qu'il l'ignorera. Et c'est ce qu'il fait, ne bougeant pas d'un centimètre, grattant un nouveau son sur sa guitare en guise de réponse. Un jour, faudra qu'il songe à aller au delà de tutoriels pour apprendre à jouer correctement. Un jour effectivement, mais ça ne sera pas cette nuit.

Pas de réponse, enfin, pas de vive voix du moins. Un nouveau grattement de guitare tout simple, à peine un accord, plutôt un son aléatoire. Je referme la porte derrière moi, me dirige vers le son. Jayden I know you're here. Et comme l'endroit fait à peine 30 pieds d'un bout à l'autre, j'te trouve plutôt rapidement. Je m'arrête dans l'embrasure de la pièce et te regarde posé là avec ta guitare. Your mom told me where to find you.

Nouveaux mots qui lui parviennent. Cette fois, il reconnait la voix et sa première pensée est de se dire que son karma est vraiment pourri jusqu'au bout. Finalement, il aurait dû boire le restant du whisky. Son esprit aurait été assez embrumé pour ne pas chercher à comprendre, pour se lever et pour direct aller lui foutre sur la tronche. Malgré les apparences de la bouteille à ses pieds, il est parfaitement sobre. Et étrangement calme quand la silhouette apparait dans l'embrasure de la pièce. S'il ne bouge pas, il daigne tout de même jeter un coup d’œil dans sa direction. Il n'a pas besoin de poser de question, il avoue de lui-même comment il a eu son adresse. Par sa mère. Sans doute paniquer entre l'état de son père et le sien. Il lui a pourtant répété qu'il allait bien avant de quitter la ferme, qu'il allait se reposer et gardait son téléphone à proximité si besoin durant la nuit. Un avion raté. Un père à l'hôpital. Et un Duncan chez lui. Si c'est elle qui t'envoie, tu peux rentrer chez toi. Tout va bien. Même pas de sarcasme dans la voix. Il est calme, sans doute de trop. Comme une cocotte minute sur le point d'exploser.

Je plonge les mains dans mes poches, soutenant mon poids contre mon épaule alors que mon corps penche un peu contre la chambranle. Tu ne sembles ni frustré ni réellement heureux de ma présence. Un plus j'imagine? No. I mean, she was worried, but I'm the one who asked for your address. Haussement d'épaule. Just figured you shouldn't be alone given the circumstances.

Tout va bien. Aucune raison de s'en faire. Il respire. Il n'a fait aucune connerie. Même à l'époque, il n'en a pas fait, donc ce n'est certainement pas là que l'idée lui viendra. Alors il peut partir, aller rassurer sa mère. Fin de leur rencontre. Sauf que... Première nouvelle, c'est lui qui a demandé son adresse. Léger froncement de sourcils en réaction. Deuxième nouvelle, il songe qu'il ne devrait pas rester seul. C'est sûr qu'avoir un père à l'hosto, avec l'incertitude de savoir s'il va garder ou non sa main... Bref... Et donc tu t'es dévoué pour me servir de punching ball. L'idée est intéressante si c'est le cas. Très même. Sauf que... J'ai pas la tête à me défouler sur toi Duncan. Tire-toi juste.. Un autre jour, il s'en serait donné à cœur joie. Mais pas cette nuit. Il n'a même pas le courage de lever son derrière pour lui indiquer la sortie et s'assurer qu'il la prenne.

Je lâche un petit rire face à ta remarquer et passe distraitement ma langue sur mes lèvres avant de mordre celle du bas. Something like that... not that it would make any difference to our previous encounters. Deux fois qu'on se voit, les deux fois tu m'as frappé. Habitudes? Je perds lentement mon sourire. Réfléchis MacKay. Mon regard balaye la pièce et se focalise à nouveau sur ta guitare. Didn't know you played.

Soit ce mec est complètement maaso, soit il fait exprès de le chercher. Il ne demande pas grand chose, et même ça, il le lui refuse, posant une question, ou faisant plutôt une remarque. J'parle une autre langue ou..? Cela commence à l'agacer et à prendre le dessus sur son inquiétude pour son père. Mes parents auront sans doute fini par te le dire vu comme ils aiment parler de ma vie. Cette fois, il est sarcastique. Il ne réplique rien sur la guitare, se contentant de poser l'instrument au sol, près du canapé. Il reporte son attention ensuite sur lui. Sinon, pourquoi t'es là ? Et c'est une vraie réponse qu'il réclame cette fois, surtout vu la conclusion de leur dernière rencontre.

Touché. C'est vrai que tes parents sont au moins cent fois plus bavard que toi. T'es sûr que c'est tes vrais parents? Question stupide... et sans importance aussi. T'éludes ma question concernant ta guitare et j'affiche une petite moue. Pourquoi t'es là Duncan? I don't know.I guess I just can't stay away. Nouveau haussement d'épaule et je fais quelques pas vers toi avant de m'arrêter. J'devrais probablement rester loin avant que tu me jettes ta bouteille de whisky à la gueule.

Son visage se crispe légèrement. Il ne peut pas rester à l'écart. Vraiment ? Un rictus quelque peu moqueur se dessine sur son visage. T'es en manque de mes lèvres ou de mes coups ? Que ça le pousse à revenir. Intentionnellement cette fois. En ayant même demandé son adresse à sa mère. Il faudrait qu'il touche deux mots un jour à ses parents sur le respect de sa vie privée. Enfin quand son père ira mieux. Il se décide enfin à se lever, quittant le manque de confort du canapé, tueur potentiel de dos, pour lui faire face. J't'ai déjà dit que j'suis pas gay. Alors pourquoi il revient à la charge. Pour devenir son pote ? Il en a quelques uns, ils lui suffisent. Et pourquoi se ment-il à lui-même. A cause de qui, il a tout plaqué pour prendre le chemin de l'aéroport ? A cause de qui il était sur le point d'embarquer dans un avion ? A cause de qui il n'a pas vu d'autre solution que celle de fuir ? A chaque pensée, il se rapproche d'un pas vers lui. Mais c'est p'têtre un challenge pour toi en fait ? Son poing ne part pas, mais il ne se contrôle pas pour autant et plaque ses mains sur son torse pour le repousser légèrement. Ou le provoquer au passage.

Maybe both. Qui sait? Et vraiment, j'pose la question. Quelqu'un sait? Qu'on me laisse savoir au plus vite parce que j'aime pas particulièrement me torturer comme ça. Tu te lèves et j'me félicite de pas m'être assit, c'aurait servi à rien. J't'ai déjà dit que j'suis pas gay. Hochement de tête. On est bien d'accord là-d'sus. Neither am I. Tu t'avances vers moi et je ne fais rien pour bouger. Si c'est de te défouler dont t'as besoin, si c'est ce qu'il faut pour t'aider à aller mieux, alors peut-être que j'peux être ce gars là. Je prends sur moi lorsque tu me pousses, déplaçant légèrement mon pied vers l'arrière pour m'empêcher de basculer. No, it's not. You're not a game Jayden. And I ain't playin.

C'est risible. Ses lèvres et ses coups. ça l'est même tellement qu'il se retient de lui rire au nez. Il ne comprend pas la raison de sa présence chez lui et l'explication qu'il lui fournit ne l'aide pas du tout. Les interrogations, les incertitudes, l'inquiétude pour son père, ses propres réactions, le tout est un mélange dangereux, qui pourrait se révéler dévastateur. Cela commence à déborder d'ailleurs. Des mains plaquées sur un torse pour le repousser. Une provocation pour savoir s'il est un challenge. Il lui affirme que non, sauf qu'il refuse de le croire. Peut-être que ce n'est qu'un jeu entre Vanessa et lui. Après tout il ne la connait pas suffisamment pour démentir cette hypothèse. Ils n'ont jamais vraiment discuté en dehors de baiser. Si tu ne joues pas, c'est quoi le plan ? Ses mains reviennent sur son torse pour le pousser de nouveau. Peut-être qu'il devient paranoïaque, que son humeur du moment lui fait vriller les raisonnements de son cerveau en les amenant dans le mauvais sens. Mais il n'a pas besoin de ça. Il est déjà assez perturbé pour avoir à supporter les incertitudes de Duncan en plus des siennes. Ce n'est pas la soirée.

Tu me pousses à nouveau et une fois de plus, j'encaisse, ne me défend pas, m'ancre au sol tout en continuant de te regarder de mes quelques centimètres supplémentaires. I don't know. There isn't one man... Je serre un peu la mâchoire. I loose all my game when it comes to you, ok? Si cette fois tu n'as pas comprit, je n'sais pas comment je vais devoir te le dire. J'suis pas là pour jouer avec toi. J'suis là parce que j'ai cru que tu pourrais avoir besoin de compagnie, c'est tout. Je te regarde un moment et te contourne pour aller attraper ta guitare au salon, m'asseyant sur l'appui-bras du canapé avant d'entamer un air. Soit frustré si tu veux, j'm'en fou.

Il ne sait pas. Mauvaise réponse. Ce n'est pas une nouvelle incertitude qu'il réclame. Ses mains s'apprêtent donc à le repousser une troisième fois, plus fortement. Son mouvement s'arrête en cours de route. Vérité criante qui vient de sortir. Vérité réclamée mais ô combien dérangeante. Vérité déstabilisante alors qu'elle le place en position de force. Ils se jaugent. Il ne sait pas s'il attend une réponse de sa part. Rien ne vient. Aucun mot ne serait adéquat et parfois il vaut mieux se taire. L'autre est le premier à bouger. Il récupère sa guitare posée au sol. Il le voit le mouvement du coin de l’œil. Celui de s'asseoir sur le reposoir du canapé. Ses mains sont retombées. Ses poings se serrent, témoins de sa frustration. Quand il commence à jouer, lui peste. Fais comme chez toi surtout.. marmonne-t-il. Il se retourne enfin, s'approche du canapé mais pour récupérer la bouteille de whisky. Il boit une longue gorgée, grimace en même temps que la chaleur se répand dans son corps. Qu'il joue si ça l'éclate, il ne compte pas lui arracher la guitare des mains. Bouteille à la main, il vient s'installer sur la chaise de sa table de travail se trouvant à proximité. Il lui tourne le dos et tente de ne plus se préoccuper de ce qu'il fait. La bouteille est posée sur le bureau. Il récupère un crayon et commence à griffonner une ébauche de dessin sur une feuille. C'est un de ses remèdes pour calmer ses nerfs. Et vu qu'il est occupé à passer les siens sur sa guitare, qu'est-ce qu'il s'en fout. En plus il joue vraiment bien ce con. Rien à voir avec ses deux ans de tutoriels non assidus.