Il y a des avantages et des inconvénients à être son propre patron. Certain croiront que ça nous permet de faire ce qu'on veut quand on veut, mais en réalité, ça veut aussi dire qu'on a tendance à se tuer à la tâche parce que rien n'est jamais aussi bien accompli que par soi-même. Je suis de ceux-là, ceux qui bosse trop tard, commence trop tôt, entre leur jour de repos même. Enfin, presque toujours. Et aujourd'hui? C'est pas un de ces jours. C'est plutôt un de ces soirs où j'aurais eu envie de fermer à l'heure et rentrer manger avec ma fille. Apparemment, le destin (qui porte visiblement ton nom) semble en avoir décidé autrement. Il ne reste que 10 minutes avant qu'on ferme et j'suis seule au salon quand la porte tinte. Je lève les yeux de mon balayage de plancher et croise ton regard. You! Qu'est-ce que tu m'veux? Encore rayer ma voiture?

@Thomas Duhamel

Il y a des jours comme ça, où rien ne va, où la journée s'annonce radieuse mais un grain de poussière mettre à mal l'engrenage. Il est toujours possible de rattraper et de continuer, excepté quand plusieurs grains de poussière font front commun pour que rien n'aille. Et il n'y a qu'une seule chose à espérer, c'est qu'elle se termine au plus vite. Thomas a l'impression de vivre dans un de ces jours. Et il peste intérieurement. Car l'heure prévue dans son emploi du temps – large de base – s'est réduite en minutes. Il déteste cela. Entrer dans un lieu à quelques minutes de la fermeture. Mais il ne voit pas quand il trouvera un autre créneau. Peut-être en sacrifiant du sport ? Mauvaise idée, son humeur risquerait d'en pâtir. Donc c'est un peu en baissant la tête qu'il pousse la porte du salon de coiffure. Il se maudit, mais tant pis. Quand il relève le regard, il croise le sien. Sa première pensée ? Cette journée est pourrie jusqu'au bout. Elle le reconnaît, ce qui ne le surprend pas. Mais plutôt que de sacrifier de précieuses secondes, il prend sur lui et n'entre pas dans ce jeu qui les mènera dans une joute verbale frôlant les limites de la décence de la politesse en ce qui le concerne. Comme lors de leur rencontre. « Bonsoir. Une coupe rapide, c'est possible ? » Quelque chose dans son intention frôle l'insolence ce qui ne lui ressemble pas habituellement. Sa question résonne davantage pour savoir si elle est assez compétente pour lui couper les cheveux rapidement plutôt que de savoir si ça dérange qu'il se pointe à cette heure de quasi fermeture.

Évidemment, tu ignores complètement ce que je dis et la façon avec laquelle je le dis aussi. Un mot, un simple, bien simple, mais qui renferme bien plus. Tu l'sais aussi bien que moi, j'ai pas particulièrement envie de voir ta belle gueule ici. Et quand tu me demande si une coupe rapide est possible, sous-entendant que j'aurais pas les talents nécessaires, je balance entre cette idée de t'engueuler encore plus ou bien de jouer le jeu et de me venger sur ta tête à la place.J'opte finalement pour une troisième option, déposant mon balai dans un coin et pointant ma chaise avec un sourire forcé. Sure, sit down please.

Il peut encore tourner les talons, il n'est pas trop tard mais sa fierté le lui interdit. Il est pourtant du genre à s'asseoir dessus quand il le faut. Est-ce à cause d'elle ? Ou des questions auxquelles il aura droit lors du grand rassemblement familial s'il reste avec cette coupe. Allez savoir. On peut presque croire qu'il hausse les épaules quand il va s'installer à la chaise qu'elle lui désigne. Il songe un bref instant à déjà sortir le numéro de son avocat. A la place, il sort son portefeuille et l'ouvre, laissant voir une photo avec sa fratrie. Sur celle-ci, il enlace sa sœur aînée. Il lui montre brièvement la photo. « J'aimerais cette coupe s'il vous plaît. » Il lui laisse le temps de regarder la photo avant de refermer son portefeuille et de le poser sur le comptoir. « Vous êtes nouvelle ? » La question sort spontanément. Il la trouve idiote, n'importe quel patron censé ne laisserait pas un nouvel embauché fermer une boutique seul. Mais il est trop tard pour retirer sa question. Il ne fait rien de mal après tout, si ce n'est tenter de se montrer.... aimable ?

Tu sors ton porte-feuille et j'me demande un instant si tu ne vas pas aussi sortir ton chéquier histoire de me faire un chèque pour les "dommages" sur ma voiture. Tu n'en fais rien cependant, me montrant simplement une photo de toi et, visiblement, de la famille ainsi que la coupe que tu aimerais avoir. Mhmh J'suis pas très aimable, j'en conviens, mais j'ai mes appréhensions en ce qui te concerne. J'installe une serviette autour de ton cou avant de te mettre la cape et te dévisage dans le miroir. Boy...Do I look new to you? J'attrape une bouteille d'eau en spray et commence à mouiller tes cheveux avec pour plus facilement les couper. And stop talking to me like I'm an old lady or some shit, you're probably older than me.

Thomas n'y met pas du sien. Il faut dire que cette femme est aimable comme une porte de prison. Et encore, si on part du principe qu'une porte de prison ne répond pas, cette coiffeuse descend encore en dessous de ce seuil d’amabilité. Leurs regards se croisent dans le miroir. L'ombre d'un sourire effleure ses lèvres. Non, elle ne semble pas nouvelle. Ou si elle l'est réellement, le ou la patronne l'a embauchée pour son côté pitbull qui sort les crocs en face de certains clients. Le raisonnement, n'est toujours pas logique mais il s'en tamponne. Surtout quand elle le pique. Ses lèvres se pincent légèrement. Les mots ne sortent pas alors qu'il la toise dans le miroir. Il prend sur lui, semblant l'écouter, déverrouillant son téléphone pour consulter son agenda des prochains jours. Sans relever la tête – si ça la gêne elle saura bien le lui dire – il ne se préoccupe plus vraiment de l'employée. Cela ne dure pas longtemps. « J'attends toujours la facture pour votre voiture. A moins qu'elle ne soit aussi fantôme que la rayure. » Voilà qui est plus fort que lui. Il remet sur le tapis le sujet de la dispute de leur rencontre, sans même la regarder via le miroir pour observer sa réaction.

Non, j'suis pas nouvelle. In fact, je bosse ici depuis avant même d'avoir l'âge de le faire légalement. Et maintenant? L'endroit m'appartient. Alors j'ferais gaffe si j'étais toi parce que le temps des fêtes pourrait être long avec une coupe complètement moche. Ce serait ô combien dommage qu'on doive tout raser pour égaliser le truc. Tu commences à regarder ton téléphone tandis que je continus de mouiller uniformément tes cheveux en silence. Si je ne suis pas professionnelle dans ma façon de m'adresser à toi, mes mains n'ont que faire d'une querelle et travaillent toujours aussi bien sans que je ne m'en rende compte. Puis, évidemment, tu me lances cette pique que j'suis sur tu devais attendre de pouvoir poser depuis ton arrivée. Je dépose violemment la bouteille d'eau à côté, faisant sauter quelques paires de ciseaux posées sur la plateau métallique. Ok that's it. I know you didn't just ask me that. Do you want me to cut your hair or just leave you looking like an stray dog for the holidays? Je croise les bras sur ma poitrine. Si tu me vouvoies encore une fois, j'crois que j'met l'feu à ta tignasse.

Le cliquetis des ciseaux qui sautent font lever les prunelles de Thomas. Il jette un œil dans le miroir et se garde bien d’arborer un sourire triomphal. À voir la tête de la demoiselle, il a fait mouche, plutôt deux fois qu'une vu sa position défensive. Et les menaces. Il n'en a que faire de ressembler à un chien errant. Enfin non, sur le moment il risque de rager, mais il aura toujours l'option de se rendre dans un autre salon de coiffure pour réparer les dégâts. Alors ses menaces elle peut se les mettre là où il pense. D'un geste, il verrouille son téléphone et le pose avec presque autant de douceur qu'elle avec sa bouteille d'eau sur le comptoir. Cette fois, son attention est bien porté sur la coiffeuse. Ses prunelles azures ne la quittent pas. « Ok. Faites votre job. Je dois être aussi pressé de partir que vous de fermer la boutique. Autant en finir au plus tôt. » Rien n'est propice à ce qu'ils se chamaillent et pourtant, tout semble les ramener dans cette direction. Pourquoi, il n'en sait fichtre rien. Il ne connaît même pas son nom. Il faut dire qu'il ne s'en est pas occupé vu qu'elle sait où il habite. Il s'attendait à découvrir une facture dans sa boite aux lettres plutôt qu'elle vienne toquer à sa porte pour la lui jeter à la figure. Mais il n'y a rien eu, c'est peut-être bien ça le problème.

Je plisse à nouveau les yeux dans le miroir, inspirant longtemps avant de relâcher l'air de mes poumons d'un seul coup. Je claque ma langue contre mon palais et attrape mes ciseaux pour venir commencer à tailler tes cheveux. J'ai envie de répliquer, mais là tout d'suite, j'trouve rien à dire. Si je l'ouvre, je risque de tout bonnement crier ma frustration. Tout ce qu'on entend désormais c'est la radio qui joue à volume très bas quelque part dans le salon et les ciseaux qui font shlick shlick ici et là. C'est lourd, terriblement lourd, mais j'ai pas envie d'être sociable.

Elle meurt d'envie de répliquer, il n'en doute pas une seconde. Il ne craint même pas ce qu'elle dira, car en réalité, il est déjà dans les starting blocks pour en rajouter une couche voire même lui clouer le bec si jamais l'occasion lui est donnée. Mais pas un mot ne sort. On ne ressent plus que de l'électricité dans l'air sur un fond musical. Voilà une chose à laquelle il ne s'attend pas, qu'elle rende déjà les armes. Il l'imaginait plus endurante. Tom est presque déçu. Le pire c'est qu'elle ne fait qu'écouter ce qu'il a demandé. Sauf qu'elle ne lui semble pas le genre de femme à se laisser marcher sur les pieds. Donc que se passe-t-il ? La question défile en boucle dans sa tête, au rythme des cliquetis des ciseaux. En se regardant dans le miroir, il fait une petite moue, reconnaissant que les gestes sont professionnels. Malgré leurs humeurs respectives. Que faire ? S'excuser pour son accès d'humeur, elle peut toujours rêver. Surtout qu'elle le traite comme s'il était une vieille mamie revenant chaque semaine raconter les ragots du coin et qu'elle laisse parler sans participer à la discussion. Sauf qu'il n'a rien à voir avec une mamie et il ne dit pas un mot. Il est bien tenté de briser le silence mais se retient. À la place, il laisse échapper un soupir. Puisqu'il en est ainsi, autant jouer à son tour au roi du silence.

Je paris que mon silence te rend chèvre. Parce que tu t'attends certainement à ce que je plonge tête première dans tes provocations comme je l'ai fais jusqu'à maintenant, ce serait normal, non? Sauf que j'ai pas envie d'te donner cette satisfaction en fait et que le soupir que tu pousses est une satisfaction pour moi en retour. What's wrong? Cat got your tongue white boy? J'esquisse un petit sourire en coin, le genre de sourire qui ne présage rien de bon si vous voulez tout savoir. J'ai encore toujours autant envie de te couper une oreille, mais m'abstiens puisque la réputation du salon est plus importante que mon égo.

Une seconde... Six secondes... Enfin ! En osant lui demander ce qui ne va pas. L'hôpital se fout vraiment de la charité... Et cela vaut d'un côté comme de l'autre. Face à son sourire, qu'il soit triomphant ou non – il ne la connaît pas assez pour le déterminer – les traits de Thomas sont plutôt renfrognés, contrariés même. « Voici une chose à laquelle je ne m'attendais pas. » Il est fatigué de sa journée. Son emploi du temps du jour n'a pas aidé pour son humeur. Et ce n'est rien comparé aux deux mots qui l'ont fait tiquer. « Je n'aurais pas imaginé que tu es raciste. » Qu'elle le prenne comme elle veut. On parle régulièrement de racisme envers les gens de couleurs mais on oublie que cela peut aller dans l'autre sens. Si ça a pour but de le toucher, elle fait mouche. A cet instant, il n'a qu'une hâte, qu'elle termine sa coupe, qu'il paie pour le service, et qu'il se tire. C'est la volonté de base de chacun, autant y arriver au plus vite.

Je fronce les sourcils lorsque tu dis que c'est une chose à laquelle tu ne t'attendais pas. Oh? Et de quoi est-ce qu'on peut bien parler? De racisme, vraiment? Je renâcle en secouant la tête. If you really think that was meant as a racist comment, I'm sorry to break it to you, but it wasn't. I've been called "oreo" all my life man, take a number if you want to bitch and moan about racism. I was merely stating the color of your skin as a nickname. You'd rather I called you pretty boy? Parce qu'évidemment, si ça avait ressemblé d'avantage à un compliment, jamais tu ne t'en serais offensé, pas vrai? Je roule les yeux et poursuis la coupe qui est d'ailleurs presque terminée déjà. J'ai bien envie de m'attaquer à ta barbe aussi tandis qu'on y est, mais ta présence ne m'est pas suffisamment agréable pour même le suggérer.

Non mais elle est vraiment en train de lui faire le coup de prendre un numéro sur le sujet ? Vraiment ? Des signaux d'alerte rouge raisonnent, de ceux qui annoncent un long débat en perspective s'il surenchérit. Cela ne sera même pas du surenchérissement mais plutôt une défense de point de vue. Sont-ils seulement capable d'argumenter en allant au delà de la joute verbale pour avoir le dernier mot, rien n'est certain. Il fronce les sourcils. Ses lèvres s'entrouvrent. Il est sur le point de répliquer. Son bon sens l'arrête et ses lèvres se referment. Nia nia nia... pretty boy. Il lui en collerait du pretty boy. Il ronchonne intérieurement. Divers qualificatifs défilent dans sa tête. Chieuse... Exaspérante... Bizarrement, cela le calme de les passer en revue les uns après les autres. Il lâche un léger soupir. « Thomas. » Hum, de quoi il est question ? Ses prunelles restent fixées sur le miroir pour la regarder. « Plutôt que pretty boy. » Quitte à le nommer, autant que ça soit par son prénom. Il jette alors un œil à ses cheveux et doit bien reconnaître que le travail est nickel et que si elle ne l'exaspérait pas autant, il demanderait également pour sa barbe.

J'attends le come back, j'attends pratiquement une leçon d'histoire même, mais visiblement, j'suis pas la seule qui soit pleine de surprise et de retenu. Tout ce que tu lâches, c'est ton prénom et je cligne des yeux. Thomas. You look more like a Jackson. Je croise ton regard dans le miroir alors que je m'assure d'avoir fait la coupe symétrique, mes mains jouant dans tes cheveux doucement. I'm Jamila. Je me déplace pour venir face à toi et couper quelques mèches ici et là sur le devant. Mon regard s'accroche au tient cette fois et je le soutiens. J'avais pas remarqué à quel point tes yeux étaient d'un bleu profond. Les petites rides au coin de tes yeux te donnent un certain charme et je me surprend à aller jusqu'à détailler tes lèvres. I could do your beard too if you want..