Ses yeux se lèvent en direction du plafond un bref instant. Cette femme est insupportable. Jackson ! Il ne peut même pas lui donner tort dans le sens où son prénom a été choisi par la famille d'accueil chez qui il a séjourné quelques jours avant que les Duhamel ne l'adoptent, alors qu'il n'était qu'un bébé. Peut-être que sa génitrice l'aurait prénommé Jackson si elle ne l'avait pas abandonné sans même écrire un prénom sur un morceau de papier... « Jamila... » Il le répète, comme pour se l'imprégner. « J'aurais tenté Charmaine ou Devon. Mais c'est sympa. De quelle origine ? » En terme de compliment, il n'y est pas du tout. On ne peut même pas dire qu'il tente d'en faire un, mais on ne peut pas lui reprocher non plus de ne pas faire un effort pour se montrer un poil plus aimable. Ils semblent enterrer la hache de guerre, provisoirement au moins tandis que leurs regards s'accrochent une nouvelle fois, et non par l'intermédiaire du miroir cette fois. Un mince sourire vient même se dessiner au coin de ses lèvres. « C'est intéressant comme proposition... Du moins ça dépend de ton envie à cet instant de faire déraper les ciseaux sur ma gorge plutôt que sur une oreille. » Il n'est pas dupe. Ils sont borderline dans leurs mots et si chacun se tient jusqu'à présent, c'est uniquement car ils vivent dans une société dans laquelle ils ont appris à être civilisé.

Tu répètes mon nom et il sonne étrangement bien dans ta bouche. Tu le dis pas tout à fait avec le même accent que moi, c'est mignon. My middle name's Davonte if that counts for anything. And I have no idea as for the origin, my mom just liked it I guess. Parce que si j'ai une paire de prénoms plutôt typiquement afro-américain, on ne peut pas en dire autant de mon frère Jordan, un prénom plutôt.. blanc. Bref. Je me penche devant toi et m'adouci, peut-être parce que de si près, je vois d'avantage ton visage que le malice qui se cache derrière. Je m'entends même te proposer de m'occuper de faire ta barbe avant de pouvoir retenir les mots. Merde... Je plisse un peu les yeux lorsque tu remets en question mes intentions. Now you're the one giving me ideas. Je me redresse un peu et dépose finalement mes ciseaux. So. Is that a yes or a no? Parce que vu l'heure, on est officiellement fermé maintenant et que si tu veux pas, j'vais pas m'attarder ici inutielement.

De nature curieuse, il se dit qu'à l'occasion il googlelisera Jamila pour connaître l'origine du prénom. Pour sa culture personnelle. Non pas qu'il s'intéresse à elle mais cela le fera sourire si la personnalité de cette femme a des ressemblances avec la signification de son prénom. Bien évidemment, la recherche restera pour lui. Déjà que sa mère s'amuse à lui parler d'astrologie, qu'il l'écoute d'une oreille distraite, alors s'il lui dit qu'il s'intéresse à quelques prénoms, ça en sera fini de lui à chacune de ses visites. Il se taira, parfois cela vaut mieux. Et là, il a apparemment perdu une occasion de se taire une fois de plus. « Pourquoi j'ai du mal à y croire ? Si ce n'est pas ça, je ne dois pas être très loin. » Mais qu'il en soit ainsi, si elle ne veut pas le reconnaître, il le sait. Uniquement car ses propres pensées ne sont pas des compliments envers elle. Il se penche en avant pour appuyer sur son portable et regarder l'heure. Le salon est officiellement fermé et pourtant, c'est encore à lui de choisir. Partir. Rester. Les deux ont des pour et des contre. D'un mouvement, il tourne légèrement le siège vers elle, sans se lever. « C'est oui. » finit-il par balancer d'un ton sûr de lui. Et toujours avec la même intonation il poursuit. « Seulement si je paie un supp' vu l'heure. » De la générosité ? Possible. De la charité ? Pas vraiment. C'est juste une façon de faire qui lui semble logique et qui est une de ses lignes de conduite dans son propre job.

Je roule les yeux une fois de plus, il semblerait que, chaque fois que j'essaie d'être un peu plus aimable, tu trouves non seulement une façon de me le faire regretter, mais en prime une raison pour ne plus jamais l'être. You'll have to wait and see. Maybe you'll end up tied in the back of my car, maybe you'll walk out of here with a scar you'll never forget. Who fucking knows? Ouais, j'me fou de ta gueule. À ce stade, j'ai plus rien à perdre. Tu regardes l'heure tandis que je range mes ciseaux et attrape le gros pinceau qui me sert à balayer les cheveux tombés de sur toi. Well I sure as hell wasn't about to do it free. Claquement de mes lèvres ensemble je secoue la tête et maugrée pour moi-même en allant préparer le mélange de mousse à raser. Je reviens ensuite avec et commence à l'appliquer sur ton visage sans faire trop attention, t'en mettans sur la bouche et le nez. Oups.

Elle se moque ouvertement de lui. Il ne reconnaît pas qu'il récolte que ce qu'il a cherché. Mais c'est de sa faute après tout. Normalement, il est maître de lui et de ses mots. Il lui arrive de se comporter avec légèreté et insolence, mais c'est rarement avec une étrangère. A croire qu'elle possède un don pour qu'il perde le contrôle. En seulement deux rencontres, elle fait fort. Il n'aime pas ça autant que ça le titille de chercher à comprendre pourquoi. Il n'aura probablement pas de réponse en cette fin de journée. Quand il prend conscience de cette pensée, celle qui vient derrière est somme toute plus dérangeante et là, il regrette d'avoir dit oui pour la barbe. Trop tard, elle revient déjà avec la mousse à raser qu'elle étale de partout sauf au bon endroit. C'est un pur réflexe de sa part que de lever la main pour attraper son poignet. Il n'y a aucune violence dans le geste, juste la volonté d'arrêter les dégâts. Car avoir de la mousse sur la bouche et le nez, cela ne le fait pas vraiment rire. Il serait encore adolescent, son premier réflexe aurait été certainement de répliquer et de la tartiner avec la mousse. Il n'est plus ado, alors il ne fait rien si ce n'est relâcher son poignet en poussant un profond soupir, lèvres quasi closes pour ne pas laisser entrer le produit. Pour une fois, il ne dit rien, et cela n'a pas de rapport qu'il soit gêné pour parler !  

Ok, je sais, c'est enfantin et j'devrais prendre un peu plus sur moi plutôt que de t'étendre de la mousse à raser partout. D'ailleurs, quand tu attrapes mon poignet, je sursaute. Mon regard se plonge systématiquement dans le tiens et je cligne des yeux à quelques reprises. Dans un tout autre contexte -et avec une autre personne- j'aurais pratiquement pu dire que cette marque d'autorité était érotique, mais là? Tu me lâches et je me retiens pour ne pas rire, attrapant une serviette à côté pour essuyer ta bouche et ton nez, un sourire dansant sur mes lèvres. J'approche ensuite à nouveau avec la mousse et surveille ta réaction avant de l'étendre sur ta barbe et dans ton cou afin de raser sans te couper. Don't laugh too hard, your face might crack.

La bougresse savoure son triomphe. Un sourire aux lèvres, elle nettoie les dégâts causés. Tout le temps que cela dure, les prunelles de Thomas restent fixées sur son visage. Et sur ce sourire qui résonne dans le silence sur fond musical du salon. Il s'attarde sur ses lèvres. Cette fois, les gestes sont précis, la mousse atterrit aux bons endroits. Tout revient à la normal, enfin presque. Car cette phrase percute de l'intérieur notre homme, telle une déclaration de guerre. « Jamila... Je n'ai pas le temps pour ces conneries. » Ces mots sont la vérité. Il n'a guère le temps. Une petite fille l'attend à la maison même si elle est entre de bonnes mains et qu'il ne se fait pas de soucis pour elle. Son emploi du temps du jour est chamboulé depuis un moment et il n'arrive pas à récupérer le temps perdu. Il le sait sans doute qu'il est déjà trop tard. Tout comme il le sait que ce qu'il va faire est une énorme connerie. C'est trop tard, il ne contrôle pas cette déclaration de guerre ni sa réaction. Il n'y peut rien si sa main s'avance pour récupérer de la mousse dans le récipient. Il n'y peut rien non plus si ses doigts plein de mousse viennent glisser sur le visage de la jeune femme, laissant une traînée de mousse sur leur sillage. Il n'y peut rien de ce geste complètement puéril de sa part. « C'est de ta faute. » Seule explication qu'il donne alors qu'il essuie sa main sur la serviette posée sur le côté. Il a tenté de prendre sur lui, elle a réussi à déverrouiller le loquet avec une aisance déconcertante. Plus il tente de se montrer patient, et plus elle arrive à le diriger vers des contrées bien cachées de sa personnalité.

« Jamila... Je n'ai pas le temps pour ces conneries. » Ce ton que tu emploies me donne l'impression que je suis une gamine qu'on réprimande. Pire, ça me donne envie de rire encore plus ce qui n'est pas très mature de ma part j'en conviens. Je roule donc les yeux en secouant la tête et me remets à la tâche... jusqu'à ce que tu attrapes de la mousse pour m'en mettre sur le visage. Je sursaute et reste là un instant à te fixer comme si j'pouvais pas croire c'qui vient d'se passer. You did not just say this was because of me? Je clignes des yeux et te dévisage franchement avant de venir taper ta joue où se trouve de la mousse, l'éclaboussant autour et plaquant ensuite ma main dans ton front pour y étendre encore plus de mousse. Your fault!

En suivant une certaine logique, quand sa main a étalé la mousse en vengeance puérile pour sa bouche et son nez avant, tout est censé prendre fin. Ça c'est la logique. La réalité, c'est que ça prend toujours une ampleur incontrôlée. Davantage quand des mots viennent exacerber le tout. À quoi elle s'amuse à tapoter sa joue ? Il comprend quand ses doigts viennent s'étaler sur son front. Elle remet une couche, l'accusant. Mais d'où c'est sa faute ?? D'un mouvement souple et rapide – en dépit de sa haute stature – il se lève, la forçant à reculer dans son mouvement contre le comptoir. Il la surplombe d'une bonne tête. Son regard se plonge dans le sien. « De ma faute, vraiment ? »Il récupère de la mousse, prêt à barioler son autre joue. Il est même sur le point de le faire mais s'arrête à quelques centimètres de sa peau. « C'est stupide. » Lui, tout comme elle même s'il prononce ces mots davantage pour lui. Il ne sait pas à quel jeu il joue, elle non plus d'ailleurs. Dans d'autres circonstances, sans doute ce moment serait érotique, qu'ils finiraient par céder à une pulsion pour échanger un sauvage baiser. Ou qu'ils se contenteraient de faire une bataille de mousse en riant, plein d'insouciance. Dans d'autres circonstances... « Désolé. » Il s'excuse mais il ne sait même pas pour quelle raison. Maudite femme. Il lui tend alors la serviette, sans la quitter du regard.

Toute cette histoire est de plus en plus ridicule, mais quelque chose me pousse à agir comme ça sans que je ne sache pourquoi. Tu te retrouve avec de la mousse en plein front et te lève soudainement, me coinçant entre ton corps musclé et le comptoir derrière moi. Ta main se lève et je plisse légèrement les yeux en craignant de m'en prendre plein la gueule, mais tu te rétracte au dernier moment. Lost your nerves? Je prends la serviette, essuyant d'abord ma peau puis lève le bras pour venir essuyer ton front, légèrement sur la pointe des pieds vu ta taille. J'essuie lentement entre tes sourcils et mon regard s'égare à nouveau sur ton visage. À ce rythme, on sera encore ici demain. I thought you didn't have time for this.. Encore une provocation? Peut-être...

Léger haussement d'épaules comme simple réponse à sa question. Il ne préfère pas répondre, ne souhaitant pas non plus chercher une réponse à donner. Il préfère calmer le jeu le premier et se laisse faire quand elle prend l'initiative de lui essuyer le front. Son regard reste accroché, se perdant un bref instant dans ses prunelles. Puis il dérive glissant sur son nez, ses lèvres, le contour de son visage. Il songe alors que c'est une belle femme mais plutôt marcher pieds nus sur des braises chaudes que de lui avouer. Surtout quand elle rajoute.... une nouvelle couche.... ? Les prunelles bleues recroisent ses homologues chocolat. « Même quand j'arrête, tu ne peux t'empêcher de me relancer ? » Il laisse échapper un léger soupir. Puisque c'est ce qu'elle veut, autant le lui accorder. « ça nous mènerait où de continuer, à retomber en enfance en s'amusant avec de la mousse ? » Merci, mais quand on a une fille de sept ans, il arrive déjà trop souvent qu'il retombe dans l'insouciance quand il joue avec elle. « Ou ça nous mènerait à ce que l'un cède à une pulsion ridicule, se jette sur l'autre pour l'embrasser ? On enchaîne sur une partie de jambes en l'air, je règle ma note pour la coiffure et chacun se casse ? Perspective intéressante mais je ne suis pas ce genre de connards. Du moins je ne le suis plus. » Pendant qu'il y est, il devrait lui raconter toute la période durant laquelle il ne se rappelait parfois plus le matin le nom de la demoiselle qu'il avait sauté le soir. Il n'aime pas se rappeler cette période, cela le contrarie dans son présent. « Tu mérites certainement mieux. » C'est ce qu'il pense pourtant ce n'est peut-être pas son cas, et elle désire juste une partie de jambes en l'air ou une bataille de mousse. Il ne la connait pas après tout.

« Même quand j'arrête, tu ne peux t'empêcher de me relancer ? » Faible sourire, j'hausse les épaules. Would it be so bad to have fun instead of yelling at each other and fearing for our lives when the other yeilds something sharp? Je prends tout mon temps pour essuyer la mousse, profitant de t'avoir si près sans trop savoir pourquoi. Ok, t'es particulièrement beau quand on y regarde de plus près, mais ton caractère me fait douter de cette attirance qui, au fond, ne doit être que purement physique. Ou alors j'suis gravement en manque de peau. Tes paroles ensuite me prennent par surprise, à croire que t'es venu dans ma tête pour quelques minutes. Je cligne rapidement des yeux et ma tête a un mouvement de recul alors que je me compose une expression de surprise et d'outrance. Comme si j'y avais pas pensé. J'suis à deux doigts de dire que j'suis pas surprise d'apprendre que t'as déjà été ce genre de mec quand tu dis que j'mérite mieux. And how would you know what I deserve or not? Moi qui croyait que tu avais une très faible estime de ma personne. Je termine d'essuyer ton front et dépose la serviette avant de poser ma main sur ton torse et de te pousser sur la chaise où tu retombes. Mes doigts s'attarde contre tes pectoraux musclés. Anyway I'm sure you're all talk and no play.

Il ne lui donne pas tort. Il vaut mieux s'amuser que de se crier dessus mais bon. Il ne lui donnera pas raison non plus. Car à tous les coups, elle va triompher en élargissant son sourire. Il ne sait pas trop s'il perd légèrement patience en lui donnant une explication. Voici qu'elle prend la mouche et le repousse sur le siège. « Je ne le sais pas. Pour cette raison que j'ai dit 'certainement'. » Qu'elle ne lui fasse pas dire ce qu'il n'a pas prononcé. Cela risquerait de ternir son humeur rayonnante de cette fin de journée. Le cynisme est de sortie. Sa main gauche vient se poser sur son poignet. Elle s'attarde bien sur son torse alors il se permet cette liberté pour lui répondre. « Les perspectives changent quand on élève seul un enfant. » Pour le sexe, il évite les bêtises. Il n'a même jamais présenté une femme à sa fille. Pour les jeux, ça se voit qu'elle ne l'a jamais vu avec du vernis sur les ongles, ou des élastiques dans les cheveux, sans qu'aucun grognement ne soit émis. Même lui s'étonne encore de bien vivre le ridicule..

Ta main attrape mon poignet, mais je ne l'enlève pas de là pour autant. Je soutiens simplement ton expression que je n'arrive toujours pas à déchiffrer. Lorsque tu admets avoir un enfant, une petite part de mon être se réchauffe. I would know, I had mine at 16. Ouais, plusieurs personne préférerait taire ce détail, mais moi, j'assume pleinement. Nev est ma plus belle réussite et, même si je l'ai eu beaucoup trop tôt, si les choses étaient à refaire, je n'y changerais rien. Même si j'ai du l'élever seule, moi aussi. Sans retirer ma main de ton torse-, j'utilise l'autre pour venir lentement relever ton menton à l'aide de mon index. Puis, je récupère l'outil nécessaire sur le plateau à côté pour pouvoir commencer à te raser.

Évoquer leur parentalité, voilà qui semble les calmer. Elle ne l'imaginait sans doute pas père de famille. En tout cas, lui n'aurait pas pensé qu'elle a un enfant. Il s'interroge sur son âge du coup. Et le peu d'infos qu'il possède lui fait penser que son gamin doit être en pleine crise d'adolescence et qu'elle ne doit pas elle-même dépasser les trente deux ou trente trois ans. Sa fille l'étonne parfois de l'aplomb avec lequel elle lui répond. Il n'a pas hâte qu'elle arrive à l'adolescence. Oh non, pas du tout même. « Quelque part, tu dois donc comprendre. » Pourquoi il refuse de suivre tel ou tel comportement. Pourquoi il ne veut pas être le connard qui profiterait pour écraser sa bouche contre la sienne en profitant de ce qu'elle offrira. Le pire, c'est que vu la faible distance entre eux, il trouve de plus en plus son visage à son goût. Ses lèvres sont presque parfaites. Leur seul défaut semble de laisser franchir des mots qui l'exaspèrent. Il relève un peu plus la tête, lui laissant le champ libre pour le raser. Ses doigts sont toujours sur son poignet. Il les a oubliés ou ne souhaite juste pas rompre ce contact. Voilà plus de cinq secondes qu'ils se comportent en adultes responsables l'un envers l'autre, il ne faudrait surtout pas rompre cet instant.