Durant nos vacances à Hawaii, on n'a pas vraiment eu l'occasion de jouer à des jeux vidéos. On passait nos journées à la plage ou à la piscine, à s'embrasser, à se coller, à rigoler. À l'hôtel il y avait une salle de jeux, mais on préférait être à l'extérieur, profiter du soleil. Probablement que si j'avais été seul, si je n'avais pas rencontré Poppy, j'aurais passé mes vacances dans cette salle de jeu. Je ne saurai jamais, mais j'ai ce sentiment. Ces vacances, c'était le temps de se reposer, et je me suis bien reposé, je dois dire. Même si on se couchait très tard, on ne faisait pas grand chose de notre journée. Des siestes sur le sable chaud, collés, c'étaient des vacances parfaites. Pour une fois, je n'avais pas à suivre mes parents partout, j'étais libre. À dire vrai, je les voyais seulement le soir pour le repas, mais je préférais aller manger avec Poppy, à une table tranquille.

J'écoute Poppy me parler des jeux qu'elle joue ces jours-ci. Elle a donc la switch elle aussi. Mais, je n'ai pas à être surpris. Qui ne l'a pas? C'est la meilleure invention. Elle me parle de Final fantasy. Je connais ce jeu grâce à mon frère, et un peu tout le monde. J'ai joué un peu, mais sans plus. J'aime bien les design. "Ah oui, je connais bien, mon frère ne jure qu'à ce jeu, ou presque!" Puis, elle me dit manquer de temps pour jouer avec son travail et les webcomics. "Ah je savais pas que tu faisais des webcomics. C'est toi qui fait les dessins aussi?" Je pose la question en devinant déjà la réponse. Poppy est une artiste, je me souviens qu'à Hawaii, elle s'installait sur le bord de l'eau et dessinait pendant des heures (alors que je faisais la sieste à côté d'elle).

"J'espère que tu auras un peu de temps pour moi, quand même?" Je dis, pas parce que j'ai peur qu'elle me laisse de côté. Je suis indépendant, je l'ai toujours été. Mais j'espère qu'on se verra de temps en temps. Je ne veux pas empiéter sur sa vie, non plus. Je met mon bras autour de son épaule, l'embrasse sur la tête.

C'est un peu étrange d'avoir soudain une conversation aussi banale que nos goûts en matière de jeux vidéos. Comme si tout était juste normal, alors qu'il y a deux heures aucun de nous deux ne s'attendait à croiser à nouveau le chemin de l'autre. Mais pour l'instant, tout ce que je veux c'est retrouver un peu notre relation d'avant. Si simple, sans prise de tête. Bien sûr, les circonstances nous ont fortement aidés. Mais il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas réussir à retrouver ça... ou alors à créer quelque chose de nouveau, ici, dans cette nouvelle vie.

Finalement, non, je ne lui en avais pas parlé, et il me demande si je les dessine. Je repense à ces heures passées à dessiner sur la plage à ses côtés, je suis certaine qu'il n'a pas oublié, même si je ne lui montrais pas toujours mon travail. Il aurait été bizarre de lui montrer que je l'ai plusieurs fois dessiné en train de dormir.

« Oui, je fais les dessins, réponds-je quand même. Mais ce qui me demande le plus d'effort, c'est l'écriture. »

Ce n'est pas aussi naturel chez moi que le dessin. J'aurais pu trouver un co-auteur mais j'ai mes univers bien en tête, je n'ai pas réussi à me décider à déléguer. J'aurais l'impression que ce ne sont plus mes histoires, surtout avec quelqu'un que je ne connais pas.
Aux dernières paroles d'Austin, je hausse les sourcils. Il passe un bras autour de mes épaules et dépose un baiser sur ma tête. Mon cœur fait un bond et je ne peux m'empêcher de sourire.  Mais quelle question est-il en train de se poser ? Je lui donne un petit coup de coude.

« Évidemment que j'aurais du temps pour toi. Comme si quoi que ce soit pourrait entraver mon envie d'être avec toi. »

J'approche mon visage du sien pour poser mes lèvres sur les siennes. Je me débrouillerai, je sais bien que de toute façon le problème vient de mes insomnies, sans ça ma vie serait moins chaotique. Mais j'arrangerai mon emploi du temps. Je ferai tout pour pouvoir passer le plus de temps possible avec lui.

On a vite changé de sujet et c'est le genre de conversation qui me plait. Parler de jeux vidéos, de trucs qui nous passionnent. Apprendre à se connaitre, c'est important dans un couple. Je dis ça, comme si j'étais vraiment un connaisseur des relations. Alors que c'est pas le cas, pas du tout. Je suis bien avec Poppy, même si en réalité, on n'a pas parlé encore de ce qui se passe entre nous. Rien n'est officiel, mais je pense qu'on est sur la même longueur d'ondes. On se laisse une deuxième chance, on se donne une chance de vivre notre amour, alors que la première fois, ce n'était pas la bonne. Cette fois, je sens que oui. Je dois rester optimiste.

Elle me confirme que oui, elle fait les dessins de ses webcomics. Mais qu'elle trouve plus difficile au niveau de l'écriture. J'imagine qu'elle ne doit pas être la seule. Je lis beaucoup de comics, mais je préfère les mangas. Depuis que je suis tout petit, je lis les mangas. Bien sûr, j'ai lu également les Harry Potter, les Hunger games, Seigneurs des anneaux, mais je reviens toujours aux mangas. "Si tu te sens à l'aise, j'aimerais bien lire ce que tu fais." Je ne veux pas l'obliger, je lui propose simplement. Je suis intrigué à savoir ce qu'elle fait, et si je peux l'aider pour quoi que ce soit, ça me ferait plaisir. J'ai envie de la soutenir dans ses projets.

Poppy me rassure sur le fait qu'elle me gardera du temps pour moi. Je rigolais un peu en disant ça, mais pas trop d'un autre côté. "Je suis content. Moi comme j'ai seulement mon travail, j'ai un peu plus de temps." On se colle un peu, et Poppy m'embrasse. Ses lèvres douces m'avaient vraiment manqué. Je ferme les yeux, pour profiter du moment, je la sers fort dans mes bras. "J'suis bien avec toi.", je lui dit, dans l'oreille.

Je n'ai pas encore confiance en ce que j'écris, d'ailleurs je me demande encore ce qui incite les gens à me donner de l'argent, puisque mes webcomics sont disponibles gratuitement… alors les montrer à Austin, ça me gène un peu. Non, en fait ça me fout carrément la trouille. Mais peut-être…

« Je pourrai te passer le lien du site où lire ce que j'écris, si tu veux… »

C'est mieux que de lui montrer mon travail et de voir sa réaction en direct.
Mais pour ce qui est de trouver du temps pour nous. Je n'ai jamais vraiment eu de mal à me concentrer, surtout dans les périodes difficiles où me focaliser sur mes créations était un échappatoire nécessaire à ce que je ne  me rende pas plus malade que je ne l'étais déjà : à la sortie de l'hôpital par exemple. Cela dit je me connais, il faut que j'ai vraiment envie de faire quelque chose pour me concentrer dessus au point d'oublier ma fatigue et le temps qui passe. Et cette fois, il y a peu de chance que j'arrive à oublier mon envie de voir Austin, pas si elle me taraude comme lorsque nous nous quittions pour quelques heures le temps de dormir, à l'époque où nous nous sommes rencontrés. Jamais ma mère ne nous aurait laissé passer la nuit ensemble, elle craignait que je fasse une bêtise… ce qui serait peut-être arrivé. Enfin bon, tout ça pour dire que le plus compliqué sera de me motiver à écrire.

Austin me serre dans ses bras après que je l'ai embrassé et il murmure à mon oreille. J'en frissonne. Bon sang, comment son souffle sur ma peau peut-il me faire tant d'effet ? Je passe mes bras autour de son cou, l'une de mes mains sur sa nuque jouant avec ses cheveux.

« Je me sens bien aussi. Ça faisait longtemps que je n'avais pas été aussi heureuse… je t'aime tellement Austin. »

Je ne peux m'empêcher de lui dire, je crois que je pourrais lui répéter encore et encore sans me lasser. Je me sens enfin… entière. Moi-même pour la première fois depuis la mort de maman.

En voyant la réaction de Poppy, je me rends compte qu'encore une fois, j'ai parlé vite, sans me poser de questions. Je sens qu'elle n'est peut-être pas à l'aise de me montrer son travail. En tout cas, pas tout de suite. J'aurais dû y penser, me mettre à sa place. Je ne suis pas artiste, mais je peux comprendre que ce n'est pas évident de montrer son art comme ça, publiquement. Je sens sa gène, et j'ai tout de suite envie de revenir en arrière, retirer ma question. Mais bon, il est trop tard. Poppy m'explique qu'elle pourrait me passer le lien de son webcomic. "J'aimerais bien oui. Mais seulement si tu es à l'aise, je ne veux pas t'obliger à quoi que ce soit." Je ne veux pas la bousculer, ou bien qu'elle regrette.

Poppy, elle est tout simplement parfaite. Elle est drôle, elle est douce, elle est gentille. Et elle est tellement belle, je la regarde, et je ne trouve aucune imperfection. Je me demande ce qu'elle trouve chez moi. Pourquoi est-ce qu'elle m'a choisi? "Je t'aime tellement, Poppy." Sincèrement, je n'ai jamais ressenti quelque chose d'aussi fort, aussi vrai. C'est tout nouveau et je ne sais pas comment réagir. Mais je suis si heureux, j'aurais envie de le crier sur tous les toits. Je dois me contrôler, car on vient de se retrouver. Je ne voudrais pas qu'elle me prenne pour un fou. Je ne veux pas être de ces couples quétaines qui se disent je t'aime chaque seconde. C'est pourtant ce que je fais, et je l'assume, tant pis.

Elle me regarde dans les yeux, me joue dans les cheveux. En temps normal, je déteste qu'on touche mes cheveux, ça me ramène de mauvais souvenirs d'enfance. Mais Poppy, je la laisse et ça ne me dérange aucunement. Au contraire, je me sens bien. "Je suis tellement content qu'on soit à nouveau ensemble. On dirait que j'y crois pas, c'est surréel." Il n'y a que de belles choses qui s'en viennent pour nous deux, je le sens. On ira à notre rythme, et on restera ensemble, pour toujours, je le souhaite.

Il me dit qu'il m'aime. C'est délicieux à entendre, mon cœur bat si fort dans ma poitrine que j'ai l'impression qu'il va exploser. Comment puis-je avoir autant de chance ? La chance de l'avoir rencontré, la chance de l'avoir retrouvé après toutes ces années. Et surtout la chance qu'il ne m'ait pas oubliée et qu'il m'aime toujours. Je le regarde, captivée par son regard, captivée par lui tout simplement. Mais je ne doute plus. Pour une fois dans ma vie, je suis sûre de ce que je ressens, et même de l'amour qu'il a pour moi et que je vois dans ses yeux. Je suis à ma place et je ne l'abandonnerai pas.

Il m'avoue être heureux que l'on soit ensemble et que tout ça lui paraît surréel. Je ris doucement, amusée parce que pour moi aussi ça l'est. Et c'est pour ça que je ne pouvais pas juste le laisser me déposer, puis me retrouver seule, j'aurais pu croire avoir fait un rêve merveilleux.

« Ça l'est un peu, mais je suis là, soufflé-je en me blotissant contre son torse. Juste là, dans tes bras. Et je m'en irai pas. »

Je sais que ça ne va pas être tout rose. Je suis cassée, abîmée, et j'espère de tout mon cœur réussir à ne pas le faire fuir quand il s'en rendra compte. Mais je partirai pas, je ne fuirai pas pour me cacher. Je lui fais confiance. Mais attendons un peu pour en parler…
Je relève la tête vers lui et me mords doucement la lèvre :

« Embrasse-moi.»

C'est la première fois que je ressens quelque chose d'aussi fort pour quelqu'un. Que je vis des sentiments amoureux. Oui, plus jeune, j'ai eu quelques petits béguins, mais ce n'est rien comparé à ce que je ressens pour Poppy. On a une telle connexion, tous les deux. Je ne saurais la décrire, mais elle est là, présente, forte. Cette connexion, elle est belle, elle est vraie. Je sens que c'est réciproque pour elle. Pas seulement parce qu'elle me le dit, mais je le ressens dans sa manière de me regarder. Je lui dis que j'ai l'impression que tout ça est surréel, Poppy me rassure qu'elle est bien là, que tout ça c'est bien réel. J'imagine que je finirai par m'y faire. C'est tellement beau, je suis tellement bien. Jamais j'aurais pensé qu'en arrivant à Edenton, je la trouverais, elle. Ça change tout, totalement tout. Poppy me dit qu'elle ne s'en ira pas. "J'espère bien. Je ne suis pas prêt pour me faire briser le coeur une deuxième fois." Je fais allusion à il y a deux ans, quand elle m'a laissé. Bien sûr, je rigole, car je sais qu'elle ne me laissera pas. Je la taquine, parce que je l'aime.

On est collé sur le canapé. Le temps s'est arrêté, et on profite du moment présent. Poppy me demande de l'embrasser. Demandé comme ça, je n'ai pas le choix d'obéir. Je me surprends moi-même, et elle aussi probablement. Je l'attrape derrière la tête, au niveau de la nuque et l'approche vers moi. Je dépose mes lèvres sur elle, avec fougue. Je suis un peu maladroit, je crois lui avoir tiré une mèche de cheveux. "Oups, excuse-moi." ça m'apprendra à vouloir trop en faire... J'espère juste ne pas avoir gâché le moment...

Il me taquine et je cache une petite moue en enfouissant mon visage dans son cou. Je sais qu'il m'en veut moins que moi pour ce qui s'est passé, mais j'espère qu'il a quand même confiance en moi. Comme j'ai conscience qu'il n'a pas dit ça pour me blesser, je décide de ne pas laisser mes regrets prendre le pas sur mon humeur. J'ai toute notre vie pour me faire pardonner, après tout.

Austin me saisit soudain par la cou et m'embrasse fougueusement. Je suis surprise, agréablement cela va sans dire. Mes doigts se resserrent sur son t-shirt et c'est à peine si je sens qu'il tire légèrement sur mes cheveux. Je crois que je n'y aurais même pas fait attention s'il ne s'était pas excusé. Je secoue légèrement la tête.

« Non, c'est rien. »

Je repose mes lèvres sur les siennes. Je n'ai pas envie de mettre fin à ce moment, à ce baiser. Je sens des frissons qui commencent à courir le long de ma peau. C'est tellement bon, sa chaleur, le goût de ses lèvres. J'avais déjà du mal à m'en passer, il y a deux ans, je crois que c'est encore pire maintenant.

Malheureusement, on n'a pas toujours ce qu'on veut, et Klonoa se met à miauler à nos pieds. Il ne me faut qu'un instant pour comprendre qu'il a entendu le livreur s'arrêter devant la maison. Je mets fin au baiser alors qu'il frappe à la porte, et réprime un soupir.

« Je crois que notre repas est arrivé. »

Je me lève et vais ouvrir. C'est le livreur habituel, je crois qu'il a à peu près notre âge. Je le salue en souriant et sors mon porte-monnaie de mon sac.

« Oh, t'as de la compagnie, ce soir ? Dit-il en jetant un œil à l'intérieur. C'est rare.
– Oui. Ça devrait l'être moins, maintenant. »

Je lui tends le billet, ses doigts effleurent ma main quand il le prend et j'attrape le carton de pizza en le remerciant, avant de refermer la porte. Je vais poser la pizza sur la table basse.

Il faut pas se le cacher, je suis assez maladroit dans la vie. Et encore plus quand je suis stressé. Je réfléchis trop et c'est là que tout devient la merde. Il m'est arrivé tellement souvent de manquer une marche dans les escaliers et m'étaler au sol devant une foule. Ou bien d'oublier d'attacher mes lacets et hop, vous connaissez la suite. Ça ne m'étonnerait même pas si j'échappais ma pizza sur ses genoux, ce soir. Pour l'instant, elle n'a rien vu, elle me dit que c'est pas grave, elle a sûrement même pas senti que je lui ai tiré une mèche de cheveux. La preuve qu'elle est parfaite, la voilà. Poppy m'embrasse à nouveau. Je n'ai donc pas trop gâché le moment. Je profite de chaque instant, je voudrais que ce baiser dure plus longtemps. Mais la pizza est sur le point d'arriver. C'est Klonoa qui nous avertit, d'ailleurs. Poppy se lève, je reste assis. Je voudrais bien proposer de payer, mais je me dis que la prochaine fois, c'est moi qui payerai. Elle ouvre la porte, et le livreur est bien là. Il est plutôt jeune, et je l'entends parler à Poppy. Ils semblent se connaître. C'est un ami? Il est un peu trop familier avec elle, un truc me chicote. J'écoute leur petite conversation, le livreur remarque qu'elle n'est pas seule. Ça veut dire quoi? En quoi ça le regarde, que Poppy soit accompagnée ou pas? Elle lui répond qu'elle sera moins seule maintenant. Elle paie, et vient me rejoindre. "Tu le connaissais, le gars?" En temps normal, je suis pas jaloux. Même que je déteste la jalousie. Je déteste ce mot, tout ce qui l'entoure. Mais c'est plus fort que moi. Je demande, par simple curiosité. J'ai vraiment pas envie de me transformer en petit ami jaloux. Ce n'est pas moi, ça me ressemble pas. Si elle est avec moi, c'est bien pour une raison. Et j'ai pas envie de tout gâcher parce que la jalousie a pris le dessus.

Mon estomac se manifeste à nouveau, bon il était temps que la pizza arrive finalement. Depuis combien de temps n'avais-je pas mangé avec quelqu'un ? Un moment, sans compter les pauses repas au boulot, mais c'est pas tout à fait pareil parce que je suis pas vraiment proche de mes collègues.

Austin me sort de mes pensées en me demandant si je connais le livreur. Je le regarde, surprise, et hausse les épaules.

« Euh... non, pas spécialement. Mais je commande au moins une fois par semaine et c'est lui qui s'occupe des livraisons la plupart du temps. »

Je me retiens de dire que si je croisais le livreur ailleurs je serais probablement pas fichue de le reconnaître. Je pourrais même pas vraiment dire à quoi il ressemble, je ne le regarde pas plus que ça. Mais j'ai peur qu'Austin pense que je suis une mauvaise personne, si je disais ça.
Je me contente de sourire et tourne les talons pour aller nous chercher à boire. Je vais donc dans la cuisine et ouvre le réfrigérateur sans trop savoir ce que j'ai. De la bière, mais c'est évident, j'en ai toujours. Du soda, aussi.

« Tu veux boire quelque chose ? J'ai du soda, et de la bière. »

En attendant sa réponse, j'ouvre un placard pour sortir deux verres, tout en me demandant si je vais prendre une bière, sachant qu'un soda à cette heure-ci me paraît une pas très bonne idée à cause de mes troubles du sommeil. Bon, j'espère qu'Austin ne trouvera pas bizarre que je puisse boire de la bière.

Je peux pas commencer à être jaloux, alors que ça fait même pas une journée qu'on se retrouve. Je dois vraiment faire attention pour ne pas me transformer en cette personne que je refuse d'être. Poppy, elle est magnifique, alors évidemment que les gens autour se tournent quand ils la voient. Les gens la trouvent belle et je n'y peux rien. Je peux pas empêcher les gens de la regarder, de lui parler. Ce serait vraiment malsain de ma part. J'ai pas envie d'être le petit ami toxique. Ce n'est pas moi. Elle ne semble pas vraiment se rendre compte de mon ton un peu jaloux. Tant mieux. Poppy me dit que c'est le même livreur à chaque fois qu'elle commande. Et comme elle commande chaque semaine... Voilà, c'est tout. Ça se termine ici. Elle n'a pas besoin de se justifier, et je n'ai pas besoin de la questionner. Elle va dans la cuisine et me demande si j'ai envie de boire quelque chose. Du soda ou de la bière? Avant, j'aimais pas la bière, genre pas du tout. Et à force d'en boire, j'ai commencé à aimer le goût. Bon, maintenant je dois quand même pas abuser. Si j'en prends une ou deux ce soir, ça va. Mais si je dépasse les trois bières, ça risque de mal finir la soirée. J'aimerais avoir une meilleure tolérance à l'alcool, mais avez-vous vu ma taille? "Je prendrais une bière!", je lui réponds. J'ai l'habitude de manger seul, soit devant ma télé ou alors à la table de cuisine, mais c'est rare que je suis accompagné. Je me demande si elle aussi, elle mange devant des séries? Ou bien elle fait comme une personne normale et mange à la table.

C'est un peu étonnée que je constate qu'Austin ne me pose pas davantage de question. Pas qu'il y ait grand chose à dire sur le livreur auquel je ne prête aucune attention, mais je me demande quand même pourquoi il a posé cette première question. Mais est-ce bien pertinent de demander plus d'information ? Je ne suis pas sûre, mais s'il y a quelque chose qu'il veut savoir, j'imagine qu'il me questionnera.
Il me répond qu'il prendra une bière, je soupire discrètement et sors deux bouteilles. Je les ouvre et les amène vers la table basse ainsi que les verres que j'ai sortis. Au moins, il n'a pas relevé le fait que j'ai des bières comme quelque chose de négatif. C'est que j'ai l'habitude des regards de travers quand je les achète. Mais il est difficile d'expliquer que je préfère boire de la bière plutôt que de prendre des médicaments qui risquent de me rendre dépendante.

Je me rassois à côté d'Austin. Mon regard se pose, par habitude, sur la télécommande sur la table.

« Ça te va si on regarde un film en mangeant ? »

Je me dis que ça pourrait nous donner l'occasion de nous détendre et de juste profiter d'être l'un avec l'autre. De juste se câliner sans plus y réfléchir, alors que clairement mon cerveau perd en capacité d'heure en heure. Sur les trois derniers jours, j'ai dû dormir six heures, pas plus. J'ai de la chance d'être jeune, dans dix ans à ce stade-là, mes cernes creuseront jusqu'à mes joues.
Machinalement, je prends l'une des deux bouteilles pour la vider dans un verre – je ne suis pas assez adroite pour boire à la bouteille sans m'en foutre partout – et je bois une gorgée.

J'ai ma journée dans le corps. En temps normal, après le travail, je vais tout de suite chez moi, je passe la soirée relax devant mon ordinateur ou devant la télé. J'prends ça tranquille, je mange des ramens ou bien des toast au beurre de cacahuètes (quand j'ai pas envie de cuisiner). Ouais, je sais, que c'est pas bien, que je devrais manger un vrai repas, que je suis en plein dans ma croissance blablabla. Mais le fait est que... ce n'est pas dans mes habitudes. Il faut me donner le temps, je suis en appartement depuis trois semaines seulement. Elle revient au salon avec les bières. J'en prends une, et la remercie avec un sourire. Poppy me propose de regarder un film. "Oui c'est une bonne idée! Je t'avoue que c'est rare que je mange sans regarder quelque chose...", même quand j'étais chez mes parents. Vers la fin, j'allais me chercher à manger et je remontais à ma chambre pour regarder la télé ou continuer mon jeu vidéo.

Pendant qu'elle verse sa bière dans un verre, je prends une gorgée à même la bouteille. Je trouve que le goût est meilleur à la bouteille, en tout cas, je sens une différence. "Je te laisse prendre la première pointe." Les femmes d'abord, quoi! J'ai faim, mais je suis capable d'attendre. Mes parents m'ont bien élevé. Même si je leur en veux pour beaucoup de choses, je dois les remercier pour certaines valeurs qu'ils m'ont transmis.

Austin me dit qu'il a l'habitude de regarder la télé en mangeant. Je ne le faisais pas quand j'étais avec ma mère, mais plus depuis que j'ai emménagé ici et que le silence me mettait mal à l'aise. Oui, il m'a fallu quelques jours pour me faire à l'idée de vivre seule même si c'est ce que je voulais. Limite, j'ai trouvé que les nuits passées dans ma voiture avaient été plus facile que mes premiers ici, dans les cartons. Enfin, après une semaine ça s'est tassé, mais j'ai quand même continué à mettre la télé pour avoir un bruit de fond. Parfois juste de la musique quand je ne suis clairement pas en train de regarder l'écran.

J'ouvre la boite de la pizza puis attrape la télécommande pour mettre Netflix et qu'on puisse choisir un film. Quand Austin me dit qu'il me laisse me servir la première, je ne peux réprimer le sourire qui étire mes lèvres.

« Merci, dis-je en prenant une part. »

Je mords dedans aussitôt et soupire de contentement. C'est vraiment trop bon. Je fais rapidement défiler à l'écran les premières lignes de suggestions qui proposent, forcément, des comédies romantiques, ce que je n'assume pas complètement.

« Tu aimes quoi comme genre de films ? J'avoue que je suis pas très difficile tant que l'histoire est un peu cohérente. »

Et ce n'est pas si facile que ça, mine de rien. Quoique je sois moins tatillonne qu'avant, surtout que j'ai juste envie de me blottir contre Austin, ce qui passera à l'écran m'intéressera sans doute moins que les papillons au creux de mon ventre.
Je remarque alors que Pacific Rim est dans la liste. Je crois que je ne l'ai jamais vu, pourtant je crois qu'il me tentait.

C'est bon d'être avec Poppy. Je me sens bien, je me sens apaisé. Je suis heureux, comme je ne l'ai jamais (ou très rarement été). Après notre rupture, je m'étais dit que jamais je ne retomberai amoureux. Ou bien que si ça arrivait, je n'aimerais pas cette personne autant que j'ai aimé Poppy. J'étais loin de me douter que je la retrouverais, peu de temps après. Ce qui fait que nos souvenirs sont plus frais à ma mémoire. C'est beau, quand même. C'est une histoire qu'on pourra raconter à nos enfants, nos petits enfants. Je ne veux pas d'enfants tout de suite, et je ne sais même pas si Poppy en veut. Mais si j'avais à choisir la mère de mes enfants, ce serait une femme que j'aime, donc Poppy. Nous n'avons pas souvent regardé de films ensemble. Peut-être une fois, quand ils avaient passé un film pour enfant à la salle de jeu, à l'hôtel. Mais disons qu'on a pas trop suivi le film. Les autres enfants autour de nous n'arrêtaient pas de dire "beurk", en nous voyant s'embrasser.

Je la laisse prendre la première part, puis je me sers. Je prends une pointe plutôt grosse, car j'ai vraiment faim. Je mange rapidement, d'habitude, mais ce soir je vais me calmer. Je ne veux pas avoir l'air d'un porc à côté d'elle. J'ai bien fait de choisir la Regina. Il y a juste la bonne quantité de champignons et de jambon. "Miam, c'est tellement bon.", je pense que les prochaines fois, je prendrai cette pizza. Moi qui, normalement, prend seulement pepperoni fromage, par habitude, il est temps de changer.

Elle me demande quel genre de film j'aime, pendant qu'on regarde les films défiler sous nos yeux sur netflix. "J'aime les films d'action, mais où il y a quand même une histoire. Tiens, Pacific Rim, j'ai jamais regardé. Ça l'air bon." Il est dans ma liste de suggestions en plus, mais chaque fois, je choisis un autre film ou une autre série. Si jamais il est bon, tant mieux, et sinon, on se collera plus.

On se met d'accord, et le film commence. J'essaie de me concentrer sur le film, mais il y a beaucoup de distractions... la pizza et Poppy surtout, qui est juste à côté de moi, je sens sa respiration, collée à moi. Allez Austin, concentre toi. Peut-être que Poppy va te poser des questions à la fin du film, et t'auras l'air d'un vrai con si t'as rien suivi du tout.