Austin remarque le même film que moi, et me dit que lui non plus ne l'a jamais vu. Ça tombe bien alors, comme ça on pourra le découvrir ensemble. Je lance le film et me cale dans le canapé. Après un instant d'hésitation, je me rapproche d'un peu d'Austin pour que mon bras soit collé au sien. Mon cœur bat d'appréhension mais je regarde l'écran, naturellement. Je termine d'avaler ma part de pizza puis attrape mon verre de bière pour boire une gorgée, et me calmer un petit peu.
C'est agréable de se trouver là, comme ça. À regarder un film, simplement, comme si nous étions ensemble depuis longtemps. Ça me rappelle des souvenirs et me fait sourire, mais au moins cette fois on est vraiment rien que tous les deux. Ce qui... n'est pas arrivé si souvent que ça, à bien y penser. A Hawaï, on était toujours dans les zones communes à l'hôtel, ou à la plage. A part une ou deux fois quand on arrivait à s'éclipser. C'est bizarre, même s'il y avait presque toujours du monde autour de nous, pour moi c'était comme si on était seuls.

Après quelques minutes, je prends une deuxième part de pizzas pour définitivement calmer ma faim, puis je me contente de boire mon verre de bière à petites gorgées. Je me concentre sur le film, à moitié. Une part de mon esprit est toujours focalisée sur Austin, je pose alors ma tête sur son épaule, tandis qu'une délicieuse sensation commence à envahir mon corps. Bien que j'essaie de suivre le film, petit à petit je sens mes paupières qui deviennent lourdes. C'est rare que je m'endorme devant un film. Enfin, inutile de préciser que depuis des mois, le simple fait de m'endormir est un événement. Je voudrais lutter, profiter plus du temps qui m'est accordé avec Austin mais je n'y arrive tout simplement pas.

Le film commence, et j'essaie vraiment de me concentrer et suivre le film. Mais c'est plus fort que moi, je peux pas m'empêcher de la regarder. Et puis au début du film, avant que l'intrigue commence, c'est toujours un peu lent, alors ce n'est pas grave si je manque quelques minutes.

Je la sens déposer sa tête sur mon épaule, je suis content, je profite de ce moment. Je me relaxe, et je peux enfin profiter pleinement du film et de l'intrigue. On reste silencieux, j'en déduis que le film est assez intéressant pour qu'on ait pas l'envie de parler, pour ne rien manquer du film.

À la fin du film, je me retourne vers Poppy pour voir sa réaction. Comment elle a apprécié le film et tout. Comme on a été silencieux pour une bonne partie du film, je suis intrigué. Mais je la vois, assoupie, ou du moins les yeux fermés. Est-ce qu'elle dort? Difficile à dire, mais je pense bien que oui. Je ne sais pas trop quoi faire. Si elle s'est endormie, je ne veux pas la laisser sur le canapé, c'est pas confortable du tout. Si je la prends, pour l'amener dans son lit, j'ai peur de la réveiller. "Poppy, est-ce que tu dors?" Je prends une chance, si jamais elle me répond pas, elle doit être endormie. Je me lève et la prends dans mes bras, comme on prend un bébé. Elle ne se réveille pas, soulagé, je me rends à sa chambre. Je l'installe sur son lit, et dépose la couverture sur elle. Je fais quoi maintenant? Je retourne au salon? Je m'en vais? Non je ne veux pas m'en aller. Au même moment, Poppy ouvre les yeux. Elle doit se demander ce qu'elle fait là. Si j'étais à sa place, je paniquerais. "Tu as du t'endormir pendant le film, mais je m'en suis rendu compte qu'à la fin... je t'ai amené à ton lit pour que tu sois plus confortable." Je lui explique, pour qu'elle n'ait pas trop peur, qu'elle me prenne pas pour un psycho. Je sais que c'est pas son genre du tout, mais on sait jamais.

A quel moment me suis-je endormie ? C'est quand même embêtant, non seulement devant un film que je n'ai jamais vu mais en plus alors que je suis avec Austin. Le film avait pourtant l'air bien, et intéressant, et je pense ne pas en avoir vu plus de la moitié avant que le sommeil de me cloue les paupières. C'est un peu frustrant, mais le soulagement est plus grand. Au point où j'en suis, je ne peux plus lutter le sommeil quand je le sens venir, sinon je risque de ne plus du tout dormir de la nuit, et ce n'est pas quelque chose que je peux me permettre au risque que cela devienne vraiment problématique. Si je m'endors au travail, ou pire, au volant de ma voiture ? Je pourrais causer un accident, blesser ou tuer quelqu'un... ma vie est assez difficile comme ça, sans que j'y ajoute des remords.
Je m'excuserai auprès d'Austin, je doute qu'il m'en veuille, il est si gentil. Tout contre lui, je dors, donc. D'un sommeil vide, sans rêve, enfin je crois. Mais au bout d'un moment, j'ai l'impression de bouger. Ce qui me fait ouvrir les yeux, c'est de sentir un poids sur mon corps. Je vois Austin devant moi, je regarde autour de moi pour voir que je suis dans ma chambre alors qu'il m'explique qu'il m'y a emmené pour que je puisse mieux dormir. Oui, c'est le plus gentil. Un sourire se glisse sur mes lèvres, attendri.

« Merci. »

Ma voix est encore un peu endormie. J'essaie de ne pas trop réfléchir, ce qui me conduirait irrémédiablement loin du sommeil. Instinctivement, j'attrape la main d'Austin pour l'empêcher de partir. Je ne veux pas qu'il s'en aille, mais si je dors, il ne va pas rester.

« Dis, tu restes avec moi ? Reste dormir avec moi, s'il te plaît... »

Je sais qu'éveillée, je n'aurais sûrement pas eu le courage de lui poser une question pareille, mais là mon cerveau n'est pas encore sensible à ma pudeur habituelle. Pour le moment, tout ce que je veux c'est pouvoir me blottir contre l'homme que j'aime pour dormir. Me rendormir dans ses bras.

La voir endormie comme ça, je me dis que la soirée est terminée. Bien sûr j'aurais aimé qu'elle ne se termine jamais, mais c'est pas comme si on n'allait plus se revoir. Poppy est fatiguée, et je la comprends. Je ne veux pas qu'elle reste éveillée à cause de moi. Je fais donc ce qui est le mieux : je l'amène dans son lit, pour qu'elle puisse se reposer plus confortablement, qu'elle passe une bonne nuit. Elle est tellement belle, quand elle dort.

Poppy se réveille, et je lui explique pourquoi elle se retrouve dans sa chambre. Heureusement, sa réaction est positive, elle me sourit et me remercie. C'était le moins que je pouvais faire, vraiment. Je me voyais mal la laisser sur le canapé, encore plus de la réveiller. Puis, Poppy me demande si je peux rester dormir. Avec elle. Collée avec elle. Mon visage s'illumine, mais elle est tellement endormie que je doute qu'elle remarque mes yeux plisser de bonheur, et mon sourire s'afficher. "Bien sûr que je peux rester." Je viens m'asseoir à côté d'elle, je lui pose un baiser sur sa joue. J'enlève mon chandail et mes jeans, je m'installe à côté d'elle, lové comme un chat. "Bonne nuit, Poppy, fais de beaux rêves." C'est la première fois que je dors avec quelqu'un, et j'aime ce feeling. C'est tout nouveau. Je suis heureux. Avec la fille que j'aime. Je suis tellement d'émotions que je me demande si j'arriverai à dormir. Elle, je sens qu'elle est déjà bien endormie.

Mes yeux ont encore du mal à rester ouverts, mais je sens Austin s'approcher de moi et déposer un baiser sur ma joue. Quelques instants après, il se couche avec moi sous la couverture. J'aimerais pouvoir être assez éveillée pour profiter, encore une fois, de cet instant, mais soyons honnête, avec mes troubles si j'étais éveillée je me relèverais tout de suite.
Je ne tarde pas à me rendormir, au chaud de l'écrin de ses bras. Le sommeil est d'abord vide de rêve et puis je me rends compte que je suis dans un autre lieu. Mais un lieu trop familier. Mon corps tremble de terreur. Mon esprit tout autant. Voilà, j'arrive à dormir et qu'est-ce qui se passe ? Me voilà encore prisonnière de ce cauchemar... ce même cauchemar qui me hante depuis deux ans. Un mélange glauque entre la mort de ma mère et les hallucinations que j'ai pu avoir lors de mon séjour à l'hôpital, à cause des médicaments qu'ils me donnaient et de mon état de choc.
Et même si je sais que c'est un cauchemar, que c'est irréel, rien ne change, je n'arrive ni à me réveiller, ni à faire quoi que ce soit. Dans cette pièce qui ressemble à notre salon distordu par le rêve, je suis traînée de force, tirée par les cheveux et frappée par un homme qui n'a même pas de visage. Mais il n'est pas seul, ils sont trois autres hommes, et le corps de ma mère est par terre. Son regard me fusille, elle est en colère parce que je suis là. Elle est en colère, parce que je me suis fait prendre, parce qu'à cause de moi, elle ne peut plus se défendre. L'homme qui m'a emmené ici continue de me frapper, des coups de pieds, des coups de poing, je ne suis plus que douleur et terreur. J'essaie de crier, mais aucun son ne sort de ma bouche, et je réalise alors que des mains serrent mon cou. Je sens ma peau se déchirer sous la bague de mon agresseur, mon sang déferler par vagues entières pour noyer le salon. Je suffoque pendant plusieurs minutes, presque jusqu'à ce que je m'évanouisse.

Comme toujours je me réveille en serrant les dents et étouffant un cri de terreur. Rapidement je m'échappe des bras qui m'enlacent avant de me souvenir – une fois que je me retrouve par terre – que j'étais dans les bras d'Austin. Dans la pénombre, je le vois bouger. Je me relève, je voudrais cacher mon agitation, mais mon cœur bat à tout rompre et j'ai du mal à respirer à cause des larmes que j'essaie de retenir.

« E-excuse-moi, Austin. Je voulais pas te réveiller... »

Je ne voulais pas le réveiller, ni qu'il me voie dans cet état. C'est pathétique, merde ! Par réflexe, je monte une main à ma gorge, je sens la légère cicatrice sous mes doigts.

Je ne m'attendais pas à m'endormir aussi vite. À dire vrai, j'étais certain que je n'arriverais tout simplement pas à m'endormir. Il faut croire que j'ai du sommeil à rattraper, et que le lit est confortable. Je ne sais pas à quelle heure exactement je m'endors, mais ça prend moins de temps que je pensais. Poppy est à mes côtés, je me sens bien, je suis confortable. Je dors paisiblement, un sommeil profond, sans rêve. Ce qui m'étonne, car en temps normal, j'ai le sommeil plutôt léger. Je me réveille à rien, et donc, je dors rarement 8h sans me réveiller. Je m'y suis habitué, ça fait partie de ma vie maintenant. Il n'y a pas grand chose que je peux faire pour aider la situation. En tout cas, si j'arrive à bien dormir chaque fois que je dors avec Poppy, je viendrai plus souvent passer la nuit.

Poppy, elle est tellement merveilleuse. C'est grâce à elle, en fait, si je dors aussi bien en ce moment. La soirée ne s'est pas passé du tout comme prévu et je suis bien content du retournement de situation. En ce moment, je serais probablement entrain de jouer à un jeu vidéo, seul, malheureux. Et non, c'est pas ce que je vis, je suis heureux, j'ai retrouvé ma Poppy. On s'est retrouvé, en fait. Après deux ans sans se voir, sans se parler. La vie nous offre une deuxième chance et je compte bien en profiter. Je ferai tout pour que ça fonctionne, cette fois. Je suis plus mature, j'ai plus de liberté qu'avant. Et aussi, nous habitons la même ville, ça aide beaucoup. Une des raisons pourquoi ça n'aurait pas marché entre nous deux avant, c'était pour la distance. Nous n'habitions pas la même ville, des heures de routes nous séparait l'un de l'autre. Et je n'étais pas encore prêt à partir de chez mes parents. Ce n'était même pas une option pour moi (même si déjà, je ne m'entendais pas avec eux). Cette fois, aujourd'hui, c'est la bonne. C'est notre moment à nous deux, pour vivre enfin notre histoire.

Le cri de Poppy me réveille, en deux secondes, mes yeux sont ouverts et je réalise qu'elle n'est plus dans le lit. Elle est par terre. "Tout va bien?" Je m'assois sur le lit, je vais pour l'aider, mais elle se relève par elle-même. Poppy est entrain de pleurer. Je me lève, et je la serre fort dans mes bras. "Je suis là, Poppy." Je lui donne un baiser sur le front. Elle a sans doute fait un cauchemar, pauvre amour.

Deux ans. Cela fait deux ans maintenant que mes nuits ont une chance sur deux de ressembler à ça ou bien à une longue attente jusqu'à ce que le jour se lève à nouveau. Je ne sais même pas combien de temps j'ai réussi à dormir cette fois-ci, mais j'ai l'impression qu'il ne s'est écoulé que quelques minutes... et en même temps, mes cauchemars semblent durer une éternité à chaque fois. Je retire ma main de ma gorge, alors que je sens mes doigts se serrer en un poing. Comme souvent, je ressens des douleurs dans mon corps, mes mâchoires, ma tête, ma poitrine, c'est psychosomatique, à cause de mon cauchemar... autrement dit, je m'inflige ça toute seule.
Les larmes coulent sur mon visage, je voudrais tellement retourner dans ce sommeil serein dans les bras d'Austin. Il me demande si ça va, mais je ne réponds pas tout de suite. Il s'approche alors de moi et me serre contre lui. Je ferme les yeux en sentant ses lèvres déposer un baiser sur mon front, quelque chose s'apaise en moi, mon cœur me paraît moins lourd. Il est là...

« Je suis désolée, j'ai... je fais souvent des cauchemars. »

Je n'aurais pas dû lui demander de rester, d'ailleurs si j'avais été éveillée, j'aurais pu y réfléchir plus sérieusement. Je sais bien que passer une nuit sous le même toit que moi est fatiguant, je le voyais sur le visages de mes anciens tuteurs. Cela fait aussi partie des raisons pour lesquelles j'ai voulu vivre seule.

« J'aurais dû te prévenir, reprends-je après un instant. »

Oui j'aurais dû, mais je n'avais pas envie qu'il me prenne pour une folle, ni d'avoir à raconter ce qui a causé tout ça. C'est assez compliqué de le vivre à chaque fois que je ferme les yeux plus d'une heure. J'essuie mon visage, bien que les larmes s'entêtent à longer mes joues, et relève les yeux vers Austin.

« Tu devrais te recoucher, je vais aller dans le salon, ça va passer. »

Comme d'habitude. Je ne quitte pourtant pas son étreinte, je préfère attendre qu'il me lâche le premier, je me sens trop bien contre lui pour me détacher moi-même. S'il savait dans quel pétrin il se fourre avec moi...

J'ai l'impression d'avoir dormi des heures, d'avoir fait toute ma nuit en fait. Mais il se trouve qu'on est au beau milieu de la nuit. Je n'ai pas l'heure exacte, comme je n'ai pas mon portable sur moi. De toute façon, peu importe l'heure qu'il est, c'est pas important. J'ai Poppy à mes côtés, en crise, elle pleure, elle tremble, j'essaie de la rassurer mais je suis pas magicien. Je fais du mieux que je peux pour comprendre ce qu'il se passe. J'aimerais faire plus, je me sens impuissant. Elle s'excuse, elle dit qu'elle fait souvent des cauchemars. Souvent, elle veut dire tous les jours? 1 fois par semaine? Pauvre elle, c'est horrible faire des cauchemars, et c'est pire quand ça arrive fréquemment. Poppy, elle se sent mal, je le vois. Elle s'excuse, elle dit qu'elle aurait du me prévenir. Oui, j'avoue, je m'y attendais pas, ça m'a fait sursauter, réveiller, mais elle n'a pas à s'en vouloir. "Mais non, c'est pas grave!" Je lui dis doucement, je ne veux pas qu'elle se sente coupable de quoi que ce soit. Je veux être là pour elle.

Poppy me dit que je devrais me recoucher, qu'elle ira dans le salon. Que ça va passer. Il est hors de question, non. Je ne veux pas la laisser toute seule. Au pire si je ne dors pas le reste de la nuit, je dormirai plus tard dans la journée. Je veux être avec elle. "Mais non, Poppy... Je suis là, comme je t'ai dit. Je vais rester auprès de toi toute la nuit. Tu veux que je te chante une chanson? que je mette de la musique douce? que je te berce dans mes bras? Ou bien je pourrais te faire une tisane pour t'aider à t'endormir?" J'essaie de trouver un moyen, mais surtout, je ne veux pas l'obliger. Je ne veux pas qu'elle se sente encore plus mal. Je veux seulement ce qui est le mieux pour elle. Je l'aime tellement, ça me brise de la voir comme ça.

Ma nuit est-elle terminée ? Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est, mais avant tout je dois me calmer, sans ça je suis certaine de ne pas me rendormir du tout. Cela fait bien longtemps que personne ne me console après les cauchemars, c'est étrange et tellement agréable. Je sens mon corps qui tremble néanmoins, les images trop bien connues de mes songes tournent dans ma tête. Cela me hanterait moins, j'imagine, si ce n'était pas toujours la même chose, si mon sentiment de culpabilité ne ressortait pas aussi vivement. Mais qu'y puis-je ? J'ai essayé de soulager mes pensées, de supprimer mes remords, en vain. Peut-être disparaîtront-ils un jour… en attendant je dois vivre avec.

Austin me dit qu'il reste avec moi, il veut m'aider à me calmer. Je ne sais pas moi-même comment me calmer. Habituellement, je pleure et je crie pendant une heure et ensuite je fais tout pour ne plus y penser. Je voudrais que ça devienne plus facile avec le temps.

« Je veux juste rester comme ça… »

Je passe mes bras autour de sa taille pour me rapprocher encore un peu de lui et je pose ma tête sur son épaule. Sa présence et sa chaleur me rassurent un peu mais les larmes ne cessent toujours pas. J'essaie de les contrôler, mais j'ai l'impression de sentir déborder ma tête et mon coeur. Je suis à deux doigts de craquer pour de bon - oui, on pourrait croire que c'est déjà le cas, mais non, c'est encore pire que ça.

« Parle-moi, dis-moi n'importe quoi mais empêche-moi de penser s'il te plaît… »

Je suis pitoyable. Mais je ne veux pas ressasser tous ces souvenirs alors qu'il est là, je ne veux pas qu'il me voie comme ça et qu'il se rende compte que je ne suis plus celle dont il est tombé amoureux. Personne ne pourrait tomber amoureux de l'épave que je suis aujourd'hui.

Je me sens terriblement mal. J'aimerais pouvoir l'aider, la rassurer, mais je me sens tellement impuissant, ça me rend mal de la voir comme ça. Je veux être là pour elle, mais je ne veux pas empirer les choses non plus. Je me contente d'être présent pour elle, peu importe, de la supporter, même si je ne comprends pas exactement ce qu'elle vit. Il m'arrive parfois de faire des cauchemars, mais j'ai l'impression que c'est plus sérieux. Je la sers contre moi, je lui dit que tout ira bien, que je suis là. Je n'ai pas l'intention de partir. Même si elle me propose d'aller dans le salon, je veux qu'elle reste, qu'on soit ensemble. Je ne veux pas qu'elle soit seule. De toute façon, je n'arriverais pas à dormir, à la savoir seule au salon, dans toute cette détresse.

Poppy veut rester comme ça, dans mes bras. Ça me rassure, elle me fait donc assez confiance. Je ne m'attends pas à ce qu'elle me raconte son cauchemar ou bien ce qui la tracasse, je ne vais jamais la forcer. Ce sera à elle de m'en parler si elle se sent à l'aise. C'est personnel et ça, je peux comprendre. Je n'irai jamais l'obliger à me dire tout, mais j'espère qu'éventuellement, elle se sentira bien et en confiance de se confier à moi. Le temps viendra, je suis sûr. Après tout, on s'est retrouvé il y a à peine quelques heures, il faut prendre son temps, ne pas précipiter les choses. Elle pose sa tête sur mon épaule, je l'embrasse sur le front. C'est un peu comme ma signature, on dirait. Lui déposer un baiser sur le front. J'espère que ça ne la dérange pas.

Après quelques minutes de silence, elle me demande de dire quelque chose, de parler de n'importe quoi. Pour lui changer les idées. Sur le moment, aucune idée me vient. Mais je dois agir vite. Allez, réfléchis Austin. "Je sais pas à quel moment tu t'es endormie pendant le film mais c'était vraiment bon. On pourrait le réécouter, un autre jour si tu veux. C'était meilleur que ce à quoi je m'attendais! Sinon, je sais pas si tu as déjà regardé ce film, avec Sandra Bullock. C'est un film netflix qui est sorti récemment. Ah, je n'arrive pas à me rappeler du titre." Je l'ai regardé il y a quelques temps en plus... "Ah, oui! C'est bird box." J'étais sur le point de lui raconter l'histoire, quand j'ai réalisé que ce film était un peu dark, apocalyptique et tout, ce n'est peut-être pas une bonne idée d'entrer dans les détails. "J'aime bien cette actrice..." Mais bien sûr, je préfère Poppy, même si elle n'est pas une actrice. Elle est l'actrice principale de ma vie, par contre.

Je me déteste. Je déteste être aussi faible, et aussi cassée. Je déteste ne pas pouvoir contrôler mes crises et mes sanglots. Et je déteste ne pas avoir le courage d'aller voir un professionnel qui pourrait m'aider. J'y suis pourtant allée plusieurs fois, au début, après être sortie de l'hôpital. Quand je n'arrivais pas encore à refuser. Et j'ai passé des heures devant cet homme vêtu de blanc, qui me parlait de ce que je ressentais sans prendre le temps de me le demander. Qui me traitait comme si je n'avais que des problèmes mineurs. « Un deuil, ça se surmonte. » Est-ce un caprice, cet entêtement à souffrir ? Est-ce que je remue moi-même le couteau dans la plaie, encore et encore ? C'est pour cela que je ne veux pas retourner voir un psy. Et s'il me disait que c'est le cas ? Comment est-ce que je suis censée m'en sortir si je me fais mal moi-même ?
Je ne veux plus réfléchir. J'en ai marre, ça me fatigue. Je me concentre sur la voix d'Austin. Elle résonne au creux de mon oreille, dans ma poitrine, alors que je suis toujours blottie contre lui. Le film. Ah oui, le film. C'était bien... quand est-ce que je me suis endormie ? C'est quoi les dernières images ? Austin. C'est Austin, sa présence dont je me souviens, c'est tout. Un sourire discret s'évade sur ma bouche, derrière mes larmes. En revanche, lui a l'air d'avoir apprécié le film, c'est déjà ça. Et il me parle d'un autre. Quand il en dit le titre, ça me dit quelque chose aussi. Je crois que j'ai du voir une bonne partie des films d'épouvante et autres thrillers de la plate-forme, j'adore ça... presque autant que les comédies romantiques ou les films de princesse.

« Je l'ai vu, » parvins-je à articuler à travers mes derniers sanglots. « J'ai bien aimé. Mais Sandra Bullock est mieux dans Miss Détective. »

Enfin distraite de mes angoisses, j'arrive à calmer mes larmes pour un petit rire et je me redresse. Je m'écarte d'Austin en essuyant mes joues. Je m'assois au bord du lit.

« Merci... je suis contente que tu sois resté. »

Je tremble encore, et pourtant j'ai vraiment chaud. C'est assez désagréable, mais je me rends compte que mon pull est humide, sans doute à cause des larmes et des sueurs froides. Machinalement, je l'enlève. Il me faut une seconde pour réaliser que je suis en soutien-gorge devant Austin... et une autre pour me rappeler qu'on est dans le noir.

« Désolée, » soufflé-je d'une petite voix. « Je meurs de chaud... »

Je ne sais pas si elle réalise à quel point je suis fou d'elle. À quel point elle me rend heureux, qu'elle me réchauffe le cœur juste à la voir. J'aimerais, et j'espère sincèrement qu'elle se sent aimée, même si on ne s'est retrouvé qu'il y a quelques heures. Ces dernières heures ont été les plus belles, elle m'avait tellement manqué. Je veux qu'elle se sente bien, en sécurité, avec moi. Je ne suis peut-être pas le grand chevalier, qu'on voit dans les films. Je ne pourrai peut-être pas la protéger de tous les dangers, mais je veux essayer. De toute façon, je connais assez bien Poppy pour savoir qu'elle peut se débrouiller seule, qu'elle n'a pas besoin d'un homme pour vivre. Mais j'aimerais être à ses côtés, c'est tout. La voir dans cet état me rend mal, très mal. Je veux la rassurer, mais comment? Elle me demande de changer de sujet, de parler de tout et n'importe quoi. La première chose qui me soit venue en tête est de parler d'un film.

Poppy a déjà vu ce film, ça me rassure, j'ai moins l'air idiot. Je sais pas pourquoi, mais j'ai peur d'avoir l'air idiot, devant elle. J'imagine que c'est normal en début de relation, on veut paraître parfait, sans défaut. Je ne suis pas parfait, loin de l'être. Je fais de mon mieux. Elle dit avoir préféré Sandra Bullock dans le film Miss Détective. J'avoue ne jamais avoir vu ce film. Mais je connais bien. "Je n'ai jamais vu miss détective, mais je te crois!" Allez, Austin, pense à autre chose à dire... Réfléchis vite.

Ce qui me rassure, c'est que Poppy semble être moins stressée, plus posée. Elle me remercie, elle dit être contente que je sois restée. "Je serai toujours là." Sincèrement, je n'ai pas envie de la quitter. Je resterais avec elle tout le temps si je le pouvais. Bon, je ne veux pas l'envahir non plus. Poppy se met à trembler. Je pense qu'elle a froid, ou bien chaud. Elle enlève son chandail. Je continue de la regarder, un peu gêné. Mais elle est si belle. "Pas de soucis... hum tu veux qu'on se colle un peu?" Je ne veux pas précipiter les choses, on vient de se retrouver, mais j'ai quand même envie de la prendre dans mes bras, de l'embrasser, la caresser.

J'ai le cœur qui bat encore trop fort. En partie à cause de mon cauchemar qui va me demander encore de longues minutes de distraction avant de me permettre de me calmer complètement. Et en partie à cause de la situation. Je suis à fleur de peau après un cauchemar, et ce n'est clairement pas la meilleure chose alors qu'Austin est là, dans ma chambre. J'ai l'impression d'être une girouette, passant d'une émotion à l'autre au gré de mes pensées qui s'agitent trop rapidement dans ma tête. J'essaie de me canaliser, de me concentrer sur les paroles d'Austin. Il m'a dit qu'il serait toujours là... c'est pas ça qui va réussir à calmer les élans de mon cœur. Comment peut-il dire ça ? S'il savait... et pourtant c'est si bon à entendre.

Et il me demande si je veux qu'on se câline. Un sourire énamouré doit sans doute se glisser sur mes lèvres, que veut-il que je réponde à ça ? C'est tout ce que je veux faire. Pas juste maintenant. Tout le temps. Avec lui. C'est effrayant de ressortir des choses si fortes, si vite. Je tends le bras, et mes doigts effleurent son torse. En sentant sa peau, les connexions se font dans mon cerveau, il est torse nu. Non, en fait, il est en boxer. Bien sûr, puisqu'il s'est couché avec moi, il aurait eu tort de ne pas se mettre à l'aise. J'aurais fait la même chose si je ne dormais pas déjà en arrivant dans mon lit. Allez Poppy, du calme, tu l'as déjà vu en maillot de bain quand même ! Et c'est là que je regrette un peu la pénombre, parce qu'il est quand même vachement canon...

« Oui, je veux bien, » murmuré-je en attrapant son poignet pour l'attirer doucement sur le lit.

Après tout, il a dit que ça ne le gênait pas que j'aie enlevé mon pull, alors lorsqu'il se retrouve assis à côté de moi, je me pelotonne à nouveau contre son torse. Sa peau est un peu plus froide que la mienne, je dois être une véritable bouillotte. Mais c'est agréable, et ça me rappelle des souvenirs. Il y a deux ans, on était toujours peau contre peau, à ne pas s'en lasser.
Je relève les yeux vers lui pour le regarder.

« Je t'aime. »

Est-ce vraiment moi qui vit ce moment? C'est comme surréel, je me sens tellement chanceux, bien avec elle. Un sentiment que je ne pensais pas revivre un jour, ou du moins, pas aussi fort. Je n'ai aimé qu'une fois, dans ma vie, et ça toujours été elle, Poppy. Mon premier amour, qui n'a duré que quelques semaines un bel été, et puis on se retrouve totalement par harard deux ans plus tard. Cette chance que la vie nous donne, il faut la prendre sans hésiter. Moi qui n'avait pas vraiment d'ambition en arrivant à Edenton, je me dis que maintenant, j'en ai une belle. Vivre avec Poppy, la plus belle des histoires. Qui ne fait que commencer, d'ailleurs.

J'ai les mains moites, alors que je la regarde. Poppy aussi me regarde, mais elle regarde mon corps. Je me demande ce qu'elle se dit. Peut-être qu'elle se dit qu'en deux ans, j'ai pas vraiment pris de musculature, que je suis encore le maigrichon d'avant. Est-ce que je l'attire toujours? Peut-être moins qu'avant? Elle touche mon torse de ses doigts, je frissonne. Elle se colle à moi, nous sommes tous les deux pratiquement nus. Je ne suis qu'en sous-vêtements, et elle aussi. Mais ce n'est pas le moment pour aller plus loin, même si je meurs d'envie. Elle a chaud, elle fait sans doute un peu de température. On reste collé, comme ça, pour quelques minutes, on ne dit rien, on ne fait que profiter du moment. Je lui donne des bisous dans le cou, alors qu'elle me dit les mots je t'aime. Ces mots me font du bien, tellement de bien. Je ne peux m'empêcher de sourire. "Je t'aime aussi, tellement." Je n'ai pas souvent dit ces mots, pour être tout à fait honnête. Je l'ai sans doute dit à mes parents il y a plusieurs années, mais à part eux, Poppy est la seule personne à qui j'ai envie de dire je t'aime. Que je le pense sincèrement. "Comment tu te sens, maintenant?" Je lui demande, pour m'assurer qu'elle va un peu mieux, je ne veux que son bonheur. J'ai bien sûr envie d'aller plus loin, de l'embrasser, la caresser, mais si elle n'est pas à l'aise, je ne ferai rien.

Me retrouver dans ses bras est la chose la plus douce que j'ai jamais ressenti. Je ne me suis jamais remise aussi vite de l'un de mes cauchemars, pas même quand Louise, l'épouse du coéquipier de ma mère que je connais depuis que je suis gamine, venait me consoler les premières fois. Je me sentais pourtant en sécurité chez eux, mais c'était bizarre, je me sentais pas chez moi... j'étais pas à ma place. Quand je suis dans les bras d'Austin, je sais que je suis à ma place, qu'aucun autre endroit ne me convient autant.

Je me sens frissonner quand il se met à déposer des baisers dans mon cou, et je ne peux que me mordre la lèvre pour retenir un soupir de satisfaction. A son tour, il me dit qu'il m'aime, et je souris de plus belle contre sa peau. J'essaie de repousser mes sombres pensées, de ne pas me dire que je ne mérite pas ça, pourtant c'est bien plus facile qu'il y a quelques minutes encore. Comme si la chape de plomb qui m'embourbe dans mes cauchemars s'était enfin levée. Austin me demande alors comment je me sens.

« Ça va mieux, grâce à toi. »

Je passe mes bras autour de lui et laisse mes doigts caresser doucement son dos, je ferme les yeux en m'appuyant contre lui.

« Je n'ai plus l'habitude qu'on s'occupe de moi comme ça, » continue-je avec un petit rire. « C'est agréable, merci. »

C'est bon de sentir que je compte pour quelqu'un, ça me fait me sentir un peu moins seule, même si j'aime donner l'impression d'être une fille plutôt solitaire. Enfin je le suis, ou je l'étais, mais c'était plus facile quand j'avais ma mère avec moi.
Je ramène l'une de mes mains sur le torse d'Austin et la remonte doucement jusque sur sa joue, avant de déposer un baiser sur ses lèvres. Je veux continuer à ressentir ça, ce bien-être, je veux pas que ça s'arrête.