Il s'éloigne de quelques pas, ne s'excusant pas de le planter et de lui tourner le dos. Ce n'est pas comme s'il est un exemple flagrant de politesse. Ses yeux se posent sur ses chaussures. Il repère un minuscule caillou. Il s'apprête même à jouer avec le bout de sa chaussure pour passer le temps quand une main se pose sur son épaule. Une décharge électrique parcourt l'ensemble de son corps. Son regard se tourne vers cette main, remonte le long du bras, glisse sur son épaule jusqu'à arriver à son visage et croiser de nouveau son regard. D'un mouvement brusque, il se soustrait à ce contact. Regard sombre. Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Troisième fois, il se répète. Il n'a rien demandé, il ne demande rien alors qu'il arrête de s'occuper de lui. Ne comprend-il pas que derrière cette réponse en forme de question, il interdit qu'on entre dans son espace et qu'on cherche à le comprendre. Mais non, à croire qu'il le perce à jour et qu'il prend un malin plaisir à revenir à la charge. Ou alors il est juste con et ne comprend pas les mises en garde cachées. Il se recule d'un pas. J'crois pas que mon père te paie à rien foutre. Fin de la discussion.

Ma main se pose sur ton épaule, geste de sympathie non calculé. La suite semble se passer au ralentit. Ton regard qui parcoure si lentement le trajet entre ma main et mon visage que j'ai l'impression de physiquement le sentir remonter. Si j'étais une gamine impressionnable, j'aurais probablement rougis. À la place, je sens un muscle dans ma mâchoire se contracter et tu viens subitement me repousser. That's more like it. Tu grognes presque ta frustration, me servant cette même vieille rengaine. You do know you sound like a broken record, right? Je secoue la tête en riant un peu. You're right, he doesn't. In fack, he doesn't even pay me right now. Parce que ce genre de petit boulot, j'lui fais gratuitement au père Rhodes depuis l'temps. Il a pas les moyens d'se payer un nouveau tracteur, mais ce vieil engin n'est bon que pour la casse entre toi et moi. J'le répare plus souvent que j'change de chemise il me semble. So not only am I not here to watch you bitch and moan about your shitty life, I'm not here to be your punching bag either. You think you're so mysterious and badass just cause you won't give me the time of day, well breaking news, you're not. We've all got bagage and we've all gotta wake up in the morning and live our lives. Plus trop joueur le Duncan. Je récupère le linge dans ma poche et retourne vers le moteur.

Provocation. Regards en coin. Silence. Paix ? Et bien non. Il semble avoir ouvert des vannes, et ce ne sont pas les siennes. Une phrase sort. Puis une autre. Et encore une. C'est un petit speech qui lui est débité. Des mots qui ne l'atteignent pas car ils vont exactement dans le sens qu'il recherchait. Suffisamment pour qu'il lui foute la paix. Suffisamment pour qu'il retourne déjà s'affairer sur le moteur. Suffisamment pour qu'il ne se préoccupe plus de lui et que l'envie lui passe de lui poser des questions. Plus aucun risque de laisser une brèche se créer dans sa défense. Plus d'envie de le côtoyer ou de se montrer sympa, donc sans doute va-t-il se presser de rendre service à son paternel et se tirer, le libérant de toutes les contrariétés qui passent dans son esprit en sa présence. Il ne s'en rend pas compte, fort heureusement. Il réagit pire qu'en temps normal car ce mec possède quelque chose qui le rend spécial. Au point que ses tripes lui dictent que c'est une menace pour sa santé mentale s'il reste près de lui trop longtemps. Au point que cette fois, au lieu de s'éloigner voire de quitter la grange, il se rapproche et s'appuie nonchalamment sur le tracteur, suivant ses gestes pour terminer de réparer le moteur.

J'comptais pas m'emporter autant. Hell, j'comptais pas m'emporter tout court. J'me voulais joueur, léger, attentionné même lorsque t'as préféré cesser de m'aider en disant pas un mot. Mais si tu veux jouer comme ça, le jeu se joue aussi très bien à deux. J'ai aucune raison de garder le fond de ma pensée pour moi, tout comme j'te dois absolument rien. On est deux adultes consentants, majeurs et vaccinés. J'reprends où j'avais laissé, très capable de faire sans avoir tes mains qui, soyons honnête, me dérange plus qu'elles ne m'aident comme je prenais plus de temps à te regarder qu'à actuellement faire mon boulot. Toi, tu finis par revenir, tu te poses là. Incapable de partir. Sans même relever les yeux sur toi, je lâche de but en blanc: You should take a picture, it'd last longer.

Une épaule appuyée sur le tracteur. Des prunelles qui regardent des mains s'affairer. Le silence se réinstalle entre eux. Il ne dure guère plus de quelques secondes. Car ce mec a un sérieux problème pour fermer sa grande gueule. Cela semble l'aider à se sentir moins seul de faire la discussion. Mais cette phrase qu'il prononce, elle a pour effet de le crisper. Il n'arrive pas à savoir si c'est une pure coïncidence ou s'il l'a fait exprès pour le faire redémarrer. Il le fixe mais il ne le regarde pas. Cela carbure à cent à l'heure dans son cerveau. Volonté de le blesser ? Si lui joue au con, il le dépasserait sur l'échelle de la connerie. Quelques secondes s'écoulent de nouveau. Hésitation. Il cède. Sa main s'avance et se pose sur son avant bras pour l'arrêter dans ce qu'il fait. Que t'a dit mon père sur les photos ? Sa voix est blanche quand il pose cette question. Plus globalement, derrière, il demande ce qu'il sait sur lui. Même si ça peut être une coïncidence, il vient de réussir à le toucher, à le blesser intérieurement. Pour le moment, il est encore dans le flou, il n'a pas opté pour la violence.

Je n'le vois pas l'effet que ça te fait de m'entendre dire ça. J'le vois pas parce que j'te regarde même pas. Quand ta main trouve mon bras je relève les yeux rapidement vers toi. C'est un geste pour attirer mon attention avant de m'en coller une? J'reste sur mes gardes, analyse rapidement ton regard, mais n'y trouve pas d'hostilité, plutôt une forme étrange de panique. Craintif animal en cage. Ta question s'abat et je comprends rapidement ma bévue. Les photos, ton ancien job.. merde. Je me redresse un peu, me tournant complètement face à toi, me dérobant involontairement à ton toucher. I know you used to be great at taking them all over the world. You were a reporter, right? Working wars and hidden beauties. Je pince les lèvres. J'devrais m'excuser. Mais j'le fais pas.

Il lui semble que c'est la première fois qu'il le touche. Et il ne ressent pas cette envie dingue de retirer sa main, comme si leur contact le brûle. Il ne la ressent pas car son esprit est tourné ailleurs. Sur la photographie. Sur son ancien monde professionnel. Quand son bras se soustrait à son contact, il laisse retomber sa main. Il ne sait pas ce qui le marque le plus. L'honnêteté dont il fait preuve pour lui répondre, ou la tenue de ses propos. Son père et lui ont eu des différents, et ils en ont toujours. Il espérait qu'il reprenne la ferme, lui a préféré mettre les voiles pour montrer des faces du monde trop souvent cachées. Il n'aurait pas imaginé que son paternel le décrive ainsi à un parfait inconnu. Cela abat une barrière en lui. Il est touché. Et pour la première fois, ce n'est pas de l'arrogance dans son regard. Ni de la colère. Seulement du désarroi face à une chose qu'il n'aurait jamais imaginé. Merci.. C'est bien une nouveauté ça aussi, de ne pas le provoquer, ni chercher à le pousser à bout. C'est un des rares mots sincères qu'il lui adresse depuis leur rencontre. Il secoue la tête, cherchant à passer à autre chose. Il n'y a guère à faire, si ce n'est remettre ses mains dans ce moteur pour terminer de le remettre en route. Reste quoi à faire souffle-t-il en détournant le regard.

Un long silence, confortable pour une fois, s'installe entre nous. J'te fixe sans ajouter quoi que ce soit, j'ai été sincère. Pas envie de jouer. Pas cette fois en tout cas. C'est un sujet qui semble sérieux pour toi et, lorsque tu me remercies, j'passe à deux doigts d'tomber sur le cul. La langue me brûle de te demander si ça fait pas trop mal de dire ce mot, mais j'veux pas gâcher le moment alors j'me contente d'un petit sourire en coin et d'un hochement de tête. Ton père n'a jamais décrit ton job avec autant de mot, mais je sais lire entre les lignes et c'est ce que j'en ai retenu. Enfin ça et ton ingratitude face à la ferme. Ce qui me fait plus rire qu'autre chose parce que, entre nous deux, j'en voudrais pas non plus. Tu te penches sur le moteur à nouveau en demandant ce qu'il reste à faire et mon sourire s'agrandit. Not much. Here, hold this. Je te passe une autre pièce tandis que je change quelques trucs de place et viens la récupérer dans ta main, laissant mes doigts effleurer ta paume au passage. Décharge électrique. Fuck..

Une brèche créée. Des armes provisoirement déposées. Des traits qui ne sont pas plus doux, sur lesquels aucun sourire ni amusement ne s'esquissent. Et pourtant, les efforts sont là, bien réels. Il semble presque de meilleure humeur car des mots ont réussi à le toucher, au point de faire un effort, de sembler civilisé pour une fois et d'accepter d'aider sans remarque acerbe, ni provocation. Il écoute les directives, en ayant encore trop en tête ce que son père pense de son ancien métier. Cela tourne dans sa tête, presque à lui donner des vertiges, quand tout s'arrête brusquement. Son regard se pose sur ces doigts qui effleurent sa main. Son esprit se concentre sur cette décharge qui le parcourt. Sa garde est baissée. Son esprit vrille complètement. Ses doigts se referment, mais non pour serrer le poing. C'est presque irréel car même lui n'a pas conscience de ce qui se passe quand sa main se referme sur la veste de Duncan pour l'attirer et poser brutalement ses lèvres contre les siennes. C'est une explosion d'émotions qui le traversent au contact de ses lèvres. Et dans le lot, une ressort. Au point, qu'il se décolle et le repousse aussi brutalement qu'il l'a attiré. Et merde. Mais qu'est-ce qui vient de lui prendre et comment a-t-il pu céder à cette pulsion ? La gifle mentale est intense. Son visage se referme alors qu'il recule de quelques pas, recréant cette distance de sécurité

La pièce est toujours dans ma main, nos regards qui ne semblent pas vouloir décrocher l'un de l'autre alors que l'électricité entre ma peau et la tienne est impossible à ignorer. Bouge. Tes doigts se referment soudainement, non pas sur la pièce qui elle tombe au sol dans un bruit étouffé à cause du foin, mais sur ma veste. Mon corps est tiré vers l'avant et avant que l'information se rende à mon cerveau, tes lippes trouvent les miennes. Explosion de couleurs. Je ne ferme même pas les yeux sur le coup et lorsque je me détends dans le geste, il est déjà terminé. Je titube vers l'arrière et reste planté là, lèvres entrouvertes, ma langue pulsant encore de la sensation féroce de la tienne qui s'y frotte. Je porte une main à mon jeans, me replace subtilement. Damn. Tu recules et je fronce les sourcils. Oh non, pas cette fois. Je traverse l'espace entre nous en quelques enjambées et saisie ta tête à deux mains pour venir à mon tour t'embrasser.

C'est comme une sensation de nausée. Une tête qui tourne. Une perte de réalité complète et totale. Il a besoin de s'éloigner pour retrouver ses esprits. C'est ce qu'il fait même. Il secoue la tête. Il se sent en colère, encore une fois. Il ne comprend pas son geste. Prémices de l'effondrement d'un monde parfaitement connu, et plongeon vers l'inconnu, sur les fondements même de sa personnalité et de qui il est. Qui est-il exactement ? Il n'a pas de réponse à cet instant. Il n'a même pas le temps de commencer à en chercher une. Car vu la cavalcade d'émotions qui embrouillent son esprit, il ne le voit pas arriver. C'est comme s'il est dans un brouillard. Pourtant, ses deux mains qui se saisissent de son visage sont bien réelles. Autant que ses lèvres qui prennent les siennes. Ses propres lèvres se pincent aussitôt, refusant ce baiser. Son corps s'est raidi. Ses deux mains se posent sur son manteau, au niveau de son torse. Il fait même un geste pour le repousser avant de s'arrêter, agrippant les pans du manteau comme on s'agrippe à une bouée de sauvetage. Ses lèvres se desserrent, se mettent en mouvement, s'entrouvrant pour lui répondre. Qui est Jayden Rhodes ? Un corps qui s'embrase sous le baiser d'un parfait inconnu. Est-il gay ? La question fuse dans sa tête, au point d'effrayer ses fondements. Si ses lèvres réclament encore les siennes. Ses mains à plat sur son torse, finissent par le repousser brutalement, avec force, lui laissant comme un goût d'inachevé et de manque sur ses lèvres.

Tes mains me repoussent, mais pas pour longtemps avant de me maintenir bien en place. Combat intérieur incessant. Moi aussi j'suis passé par-là avant d'me dire que c'était ok. Que c'était naturel. Du moment que personne ne le sait. Dans l'ombre d'une grande, dans l'intimité d'une cuisine, mais certainement pas dehors où tout le monde peut nous voir et juger. Alors j'comprends, Jayden, que tu veuilles me repousser et m'attirer en même temps. Mon excitation monte avec mon doute. J'me souviens pas d'avoir autant désiré quelqu'un qui m'est aussi insupportable. Langues qui se découvrent avant d'être arraché l'une à l'autre. Tu me pousses suffisamment fort pour me faire reculer cette fois. J'ouvre les yeux, haletant, te dévisage. Ma mâchoire se serre, muscle du cou saillant. J'veux parler, mais j'sais pas quoi dire. J'ai encore plus envie d'toi qu'avant et c'est devenu inutile de replacer mon jeans. Aucune position ne pourra être confortable à ce stade.

Duel impitoyable. Celui d'un cerveau qui refuse d'accepter ni même de voir ce qui se déroule devant lui. Et celui d'un corps qui bouillonne. Lèvres douloureuses de cet arrachage forcé. Langue qui garde comme un goût amer du décrochage de sa similaire. Cœur qui bat frénétiquement à un rythme incontrôlé. Impression d'être complètement à l'étroit dans son jean. Et tout ceci pour une personne qui n'a pas les attributs habituels auxquels son cerveau est habitué. Grande première. Colère. Désarroi. Incertitude totale sur la marche à suivre. Il songe à le frapper. Pour évacuer. Il se dit qu'il se sentira peut être mieux ensuite. Il recule d'un pas, incapable de savoir s'il peut garder le contrôle ou non. Il veut goûter une nouvelle fois à ses lèvres, autant qu'il se dégoûte d'avoir cette pensée. Il cherche une phrase acerbe, suffisamment aiguisée pour couper court à ce moment dangereux. Rien ne vient. Ses prunelles ne sont même plus capables de soutenir les siennes. L'arrogance semble comme avoir disparu. Tu devrais terminer la rép avant que mon père n'arrive. Phrase amère, qui résonne fausse dans sa tête. Il sait très bien que son paternel en a encore pour un bon moment. Mais lui ne le sait pas.

Un nouveau pas derrière alors que j'en fais un devant. J'partirai pas d'ici avant d'avoir compris ce qui s'est passé. Tu parles et j'entends, mais je n'écoute pas. Ton regard est fuyant et je penche la tête comme si je pouvais le capturer à nouveau. Jayden. Ma voix est rauque après tout ça. Un murmure grave, presque un grognement. J'avance à nouveau, un pas, deux pas. Plus vite. Je coince ton corps entre le miens et une énorme balle de foin, mes mains de part et d'autre de ta tête. Look at me. J'avale de travers, cherchant toujours ton regard. Approche lentement la tête. Tu vas te prendre une raclé MacKay. Let go.. Cette fois mes lèvres sont douces lorsqu'elles se posent sur les tiennes.

Son prénom résonne. Il fait mine de ne pas l'avoir entendu. A chaque pas qu'il fait vers lui, il se recule de tout autant. Sans jamais le regarder en face. Le problème pourrait être pourtant rapidement résolu. Il lui suffit de quitter cette grange en le plantant là. Mais son putain de corps refuse d'adopter cette solution de repli. Le pire, c'est qu'il n'est même pas en reportage là, à plonger tête la première vers le danger pour des photos en sachant ce qu'il fait. Il plonge bien la tête la première vers le danger mais sans savoir du tout ce qu'il fait. Et voilà qu'il se retrouve bloquer contre les balles de foin empilées sur un côté de la grange pour l'hiver. Ses prunelles sont posées sur le manteau du grand brun. Il note bien du coin de l’œil ses bras de part et d'autre de son visage. Dégage Duncan.. Les mots grondent. Une sommation en guise d'avertissement. Il aurait dû tenter en espagnol ou en guarani, ça aurait peut être été plus clair pour lui. Il s'apprête à livrer bataille, relève même enfin le regard pour s'apercevoir trop tard que ses lèvres sont en approche. Et cette possession est différente des précédentes. Au point de lui laisser échapper un gémissement de bien être étouffé par ces lèvres qui goûtent les siennes. Ce qu'il reste de son cerveau vole en éclat quand il répond à son baiser avec la même douceur, alors que ses mains s'agrippent à ses avant bras, les serrant, trahissant encore cette bataille qu'il livre et que son corps est en train de remporter.