Elle cligne bêtement des yeux, bat des cils longuement sans comprendre où il veut en venir avec sa question de maillot de bain. Oui, sans doute en avait-elle un qui trainait dans le tiroir d'une commode chez elle, mais quel était le rapport avec la situation actuelle. "Ou...Oui." a bredouillé la jeune femme en fronçant légèrement les sourcils, un peu perdue. "Attends, tu, tu ne vas quand même pas me..." là lui a échappé un léger rire nerveux, ses doigts qui reviennent attaquer les bretelles de sa salopette en jean, le bout de sa langue vient glisser sur ses lèvres alors qu'elle avance d'un pas vers son supérieur. "Quelles sont les conditions ?" bonnes a connaître tout de même, c'est là un point essentiel, détail auquel la blonde se raccroche désespérément finalement, comme à une bouée de sauvetage, perdue dans cet échange qui lui semble invraisemblable. Longtemps elle s'était dit que le quadragénaire avait un soucis avec elle, cela était fréquent et Jude avait conscience qu'elle ne pouvait pas plaire à tout le monde, son vilain petit caractère ne l'aidant pas des masses ; Jack avait été rangé dans la case des gens qui ne l'appréciaient pas, pour des raisons obscures. C'est faux. A de nombreuses reprises la petite amish avait fait en sorte de disparaître pour ne pas partir en intervention, trouvant toujours de bonnes excuses pour ne pas mettre le pied dans l'eau et rester au port pour s'occuper des bateaux, de la paperasse, du ménage.

A vrai dire, Jack avait été surpris de ne pas la voir prendre ses jambes à son cou et quitter la station de sauvetage sans regarder derrière elle. Soit elle ne savait pas dans quoi elle s’engageait, car l’ancien militaire s’avérerait probablement intransigeant dans sa future formation, soit la blonde était vraiment acculée au pied du mur. Toujours est-il que Murdoch ne semble pas percevoir de grosses hésitations chez la jeune femme, si ce n’était sur les conditions du marin. « Je connais qu’un seul modèle qui a fait ses preuves. » Jack caresse alors subrepticement sa bague de promotion de l’Académie navale d’Annapolis. « On va faire ça comme à l’armée. Un chef, une directive, une seule application possible. Tu es libre de t’en aller quand tu le voudras si tu penses que c’est trop dur pour toi ou que tu n’en es pas capable. Mais si tu quittes, tu ne pourras pas revenir. » Murdoch ne lui prévoyait pas non plus un entraînement de commando, mais leurs petites séances nécessiteraient pour la jeune femme quelques aménagements dans son emploi du temps. Celui du quadragénaire, lui, était entièrement libre et peut-être même que ces séances lui permettraient de faire quelques économies au Governor’s, endroit de la ville où il passait le plus gros de son temps libre. « Je t’apprendrais à nager avant et après les horaires de boulot. » Il lui faudrait s’arranger avec Mike, l’adjoint du maire responsable de la jeunesse et des sports pour avoir un accès à la piscine municipale mais ce dernier lui en devait une depuis le remorquage l’été dernier de son yacht tombé en rade de carburant dans la baie. « Quant au reste … » Jack laisse sa phrase en suspens, haussant les épaules en croisant les mains sur son bureau « J’imagine que tu seras de toi-même volontaire pour les corvées du groupe. Quant à ton sens marin, et si ton permis bateau n’a pas été obtenu par internet, je te laisserai la manœuvre aussi souvent que possible pour que tu l’affines un peu. Et si t’as rien contre le voilier, on ira faire quelques tours. Quant au secourisme, vu que ça a l’air d’être ta tasse de thé, te voilà responsable des formations bénévoles le week-end, histoire que tu potasses un peu. » Il y aurait probablement d’autres exigences qui viendraient en cours de route mais c’étaient à l’heure actuelle les seules qui lui venaient en tête. « A prendre ou à laisser. »

Lentement elle hoche la tête, tend l'oreille et se montre attentive quand Jack énonce ce qui lui réserve, ses conditions. Sera t-elle prête à les accepter, rien n'est moins sur. Il joue la carte de la menace, si elle claque la porte aucun retour en arrière ne sera toléré, s'il savait que ça ne l'a pas empêchée de tourner le dos à sa propre famille sans doute aurait-il abattu une autre carte que celle-là, non pire, Jude se renfrogne un peu, parce que ça a pour elle un goût de déjà-vu, déjà vécu. L'entraînement militaire ça ne l'effraie pas, elle a grandit dans la simplicité et travaillait dans les champs très jeune, se souvient de certaines matinées d'hiver où avant de se rendre à l'école, elle aidait son père et ses frères et sœurs à atteler la carriole, donc bon... Non c'est ce qui va suivre qui la fera tiquer, un peu. Déferlantes de directives qui tombent, bien sur que non, elle se refuse à être le larbin de service et au service de l'équipe, qu'elle blague était-ce là ? "Ce sont donc là tes conditions ?" demande t-elle froidement, le regard sombre. Le choix qui se présente à elle est plus que simple soit elle accepte sa punition, mais Jack se porte garant qu'à la fin la nage n'aura plus aucun secret pour elle, soit elle claque la porte sans demander son reste. "Rester pour devenir la femme à tout faire du port ou m'en aller ?" un nouveau pas la rapproche de lui, mâchoire toujours serrée. "Tu te sens puissant là hein, c'est ce que je mérite selon toi, ramasser tout ce que mes collègues n'aiment pas faire comme-ci je venais de débarquer dans l'équipe ?" bien sur qu'elle aurait aimé qu'il l'engueule comme du poisson pourris en lui interdisant l'accès au site jusqu'à ce qu'elle apprenne à nager, malheureusement les choses ne s'étaient pas passées ainsi. Du bout des doigts elle lui ôte la cigarette qu'il a entre les lèvres et la jette rageusement au sol. "T'as pas le droit de faire ça Jack !" s'indigne t-elle alors en renversant sa tasse de café sur son bureau. "C'est dégueulasse ce que tu me demandes !" a grondé la belle, la voix tremblante.

Décidément, la jeune femme semblait être plein de surprises. Jack pensait sincèrement que son petit numéro d’esbrouffe aurait suffit à la convaincre d’attraper cette main tendue. Au lieu de ça, la petite tornade préférait la mordre et balayer d’un revers de main toute la mansuétude inhabituelle du vieux bougon. De plus, c’est qu’elle semble prendre du poil de la bête la petite, et elle ose jeter sa cigarette au sol avant de renverser sa tasse d’un revers de main. L’irritation commence à gagner l’ancien militaire, qui n’a pas l’habitude de se laisser marcher sur les pieds comme ça, encore moins par une parvenue qui n’a pas joué franc du collier jusqu’ici. Un flot d’injures lui monte au cerveau mais il parvient par miracle à se contenir. « Tu fais chier, Jude … » lâche-t-il presque poliment avachi sur chaise de pacha. Jack ne se reconnaît pas. Une part de lui a envie de l’envoyer chier, de l’envoyer se faire foutre et de la monter contre le mur. Une autre, prépondérante, peut-être plus assagie à cause de son âge, ne se voit pas baisser les bras ainsi. Il se rappelle un court instant sa carrière, où on avait de cesse de lui rabâcher que chaque marin compte et qu’il était du devoir de l’officier de faire progresser le plus mauvais de ses éléments, et non de lui montrer la porte de sortie. La petite avait beau lui courir sur le râble, il ne pouvait s’empêcher de voir le bon côté de cette dernière. Son altruisme, son volontarisme et sa bonne humeur avaient contribué au bon fonctionnement de la station depuis deux ans, même s’il avait réussi à duper tout le monde. Et Murdoch n’était pas du genre à laisser les siens derrière lui, même s’il ne les portait pas dans son cœur. Jack se leva doucement, tel un vieillard, ramassa son mégot et sa tasse avant de s’asseoir de l’autre côté de son bureau, face à elle. Jack lui attrape le poignet, comme s’il cherchait à la calmer dans sa frénésie et planta à nouveau son regard dans le sien. « J’fais pas ça pour t’emmerder, Klopf’ » essaye-t-il benoîtement « Je veux juste t’aider. »

Une nouvelle gifle en vue ? Il lui en avait collé une plus tôt qui lui avait laissé sur la face une marque rosée, le froid ayant rendu la peau de son visage plus sensible, ça l'avait littéralement fouettée au point qu'elle ressente encore pour l'heure la morsure du faible coup porté sur son visage dans le but de la calmer d'ailleurs. Il se saisit de son poignet, elle lève le nez vers lui sans comprendre ce qu'il cherche à faire, ses phalanges se replient dans la paume de sa main alors qu'elle se racle la gorge en l'interrogeant du regard. Jude tire un peu, légèrement, sans y mettre de force, comme ci elle cherchait à récupérer son bras sans conviction aucune, prunelles brunes perdues dans l'azur de celles de son supérieur. "Quand est-ce qu'on commence ?" finit-elle par demander après quelques longues secondes de silence durant lesquelles sa langue a glissé sur ses dents, sa seconde main s'est posée sur les doigts de Murdoch sans les détacher de son épiderme. "Je ne comprends pas pourquoi tu veux m'aider alors que je t'ai déçu," avoue la jeune femme en se libérant de l'emprise du marin lentement pour masser son poignet, comme-ci sa poigne avait été si forte que Jude devait aider son sang a circuler de nouveau dans ses doigts. "Je ne fais que reprendre tes dires."

Ses muscles et son visage se contractent, Murdoch se tient prêt à recevoir de la part de la jeune femme une première attaque en réponseà son geste peut-être trop avenant. Il se surprend à se mordre la joue en attente d’une gifle qui ne vient pas, avant de se ressaisir. « Demain ? » lui répond-il de la manière la plus innocente qui soit. Le marin, en soi, n’a que ça à faire de son temps libre, si ce n’est essayer d’oublier les échecs de sa vie à grand renfort de malt ou de houblon. Murdoch finit par relâcher son étreinte sur le poignet de la blonde, alors que Murphy fait son irruption dans le bureau, queue frétillante. Le border vient s’asseoir au pied des deux sauveteurs et Jack lui accorde son attention, ainsi qu’une caresse derrière les oreilles. « Tu fais partie de l’équipage, Jude. » déclame t-il sans oser croiser son regard, préférant accorder son attention à son compagnon à quatre pattes. « Mon équipage. » croit-il bon de rajouter. Et même si elle les avait baratiné jusqu’ici, elle avait eu la décence de reconnaître ses torts, au lieu de faire preuve de lâcheté. Et cet aveu de faiblesse pour certain n’était autre qu’un gage de qualité aux yeux de l’ancien officier de marine qu’il était

Demain. Frissons qui lui parcourt le corps à l'idée de commencer l'entraînement plus vite que ce qu'elle ne s'était imaginée, crainte de mourir noyée, de ne pas s'en sortir. La peur de l'échec finalement, parce qu'il se pouvait que la blonde ne soit pas faite pour aller dans l'eau, ainsi cela expliquerait pourquoi les amish ne reçoivent pas de cours de natation et ne vivent pas près des côtes. A moins que ce soit la crainte du déluge, qui sait. Se pose la question du maillot de bain enfin, elle espérait la douce, que son maillot de bain soit toujours à sa taille, possible qu'elle ait pris du poids depuis l'été passé, mais rapidement, les mots de Murdoch la ramenaient à terre. "Bien, demain alors." répondit-elle en déglutissant, regardant l'animal qui s'était invité entre eux deux, lui adressant un fin sourire avant de le gratifier d'une petite caresse sur le flanc.
C'est la peur au ventre qu'elle quittait le bureau de son responsable, se demandant dans quoi encore elle avait bien pu s'embarquer, crainte de regretter l'accord qu'ils venaient de passer, d'ailleurs, tenait-il toujours ? Allait-elle vraiment devoir s'occuper de toutes les tâches ingrates dont son équipe rêvait de se débarrasser ? Possible.