« Ce n’est pas ce que je dis .. » peste-t-il en réponse aux questions de la blonde, qui ne semblait pas comprendre que ce genre de ragots était la seule source de nouveauté dans la vie du marin, solitaire devant l’éternel. Jack se défend difficilement, mollement et découvre une nouvelle facette de la personnalité de Jude. S’il commençait à se faire à ses inlassables questions enfantines, sans filtre, il ne s’attendait pas à rencontrer autant de pugnacité et de résilience chez elle. Il fallait reconnaître qu’il lui faisait probablement vivre un enfer au quotidien, à lui en demander toujours plus pour pouvoir obtenir le meilleur d’elle-même et le voilà qui se retrouvait dans ses retranchements, sur ses gardes à ne plus savoir quoi répondre aux mots de la sauveteuse. Lui, la grande gueule devant l’éternel, toujours prêt à décrocher la moindre punchline pour ridiculiser un autre semblait presque sans défense devant elle. Elle visait juste, et touchait à chacun de ses mots. « Ah .. » répond-il benoîtement à l’évocation de la famille de la blonde, avant de se replier encore plus sur lui-même et de subir les dernières questions de la jeune femme. Il semble penaud, complètement déstabilisé. Pire, il cherche ses mots. « Je.. » Il s’énerve contre lui-même, ne parvient pas à reprendre l’ascendant et s’enlise. Vilaine impression de se noyer face à celle à qui il apprend à nager. Triste ironie du sort. « Non .. » Acculé dans son coin du ring, il essaye de répliquer mollement. A croire qu’il était plus doué contre le chef de la police. « » Enfin, j’veux dire, oui mais .. » Ressaisis-toi, Murdoch. Le marin prend une longue insufflation, termine d’une traite son verre d’eau gazeuse et l’envie de se servir un remontant le tiraille. Il finit par s’allumer sa clope, celle dont il rêve depuis quelques minutes et essaye de trouver l’inspiration dans la nicotine qu’il absorbe. « Ca ne me perturbe pas que tu prennes un verre avec quelqu’un, c’est même très .. logique. Surtout .. enfin » Il la désigne de la main. « Bref. Ce que je veux dire, c’est que tu es une jolie femme et que oui, cela ne m’aurait pas déplu que tu ne m’offres un verre, et que oui, dans d’autres circonstances, et si tu les acceptais, je t’en aurais payé un. » Il reprend son souffle, presque rouge et a sorti tout ceci difficilement. Un frisson le tiraille et il a envie de se cacher et de retourner vivre dans sa coquille, bien loin de toutes ces emmerdes. Il était loin d’imaginer qu’en engageant la blonde deux ans auparavant, cette petite chose si frêle viendrait un jour causer un si grand bordel dans son quotidien bien établi.

Elle s'est redressée, croisant ses bras contre sa poitrine en attendant des explications de la part de Jack, elles peinent à sortir, il semble perdu et ça n'aide pas Jude à comprendre la situation. Elle qui commençait à sentir naître en elle la vexation, s'imaginant qu'elle n'était pas assez bien aux yeux du marin, encore une fois, pas assez bien non pour fréquenter quelqu'un ou boire un verre avec une tierce personne qui lui plaît qui plus est. "Oui ?" elle répète bêtement après lui, bien sur il y a un mais. Il perd contenance quand Jude elle le toise le plus sérieusement du monde. C'était à ne plus rien comprendre, il avait bien insinué qu'elle était une femme de petite vertu à sortir dans un pub a une heure tardive, se plaisait à lui en demander toujours plus sur leur lieu de travail, la traitait parfois durement, mais ça c'était dans le but qu'elle lui offre un verre ? Quoi ? rictus qui déforme ses traits, laisse entendre qu'elle n'est pas sure de comprendre, rien de rien. "Tu veux coucher avec moi ?" là elle a croisé les jambes, bras toujours serrés contre sa poitrine, petite mine renfrognée, l'écho de la conversation qu'ils avaient tous les deux eut chez elle des jours plus tôt lui revint en tête. "Parce que je suis jolie..." c'est presque robotique, les mots qui lui sortent de la bouche, sans grande assurance d'ailleurs. "Parce que j'ai mis une robe, où tu as réalisé que tu voulais un verre après m'avoir vue en maillot de bain ?" puis dans sa tête les préceptes archaïques avec lesquels elle avait grandit lui reviennent en tête, voilà pourquoi elles portaient des vêtements simples, de longues robes et des coiffes, éloigner le pêcher. "Tu m'as proposé ton aide pour obtenir des faveurs de ma part, c'est ça ? Pourquoi ne pas m'avoir proposé plus tôt, je... Je ne comprends pas ?" lente montée en pression pour la blonde qui ignore si elle doit réellement s'énerver, ou si ce qu'elle ressent est simplement injustifié et qu'elle doit tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler.

Décidément, les deux sauveteurs ne semblaient vraiment pas sur la même longueur d’ondes, ou bien était-ce le vieux marin quadragénaire qui était tellement rouillé qu’il peinait à se faire comprendre. Lui qui d’ordinaire semble tellement à l’aise ne sait plus où se mettre tellement ses mots ne touchent pas juste et semblent complètement à côté de la plaque. Son rythme cardiaque s’accélère, son malaise s’intensifie, Jack ne sait plus où se mettre sous son propre toit. Il croise et décroise nerveusement les bras sur sa poitrine, cherche en vain une position un peu plus confortable que celle dans laquelle il se trouve et semble incapable de quoi que ce soit si ce n’est subir les nouvelles interrogations de la blonde. « Quoi ?! » bredouille-t-il lamentablement en s’enfonçant toujours plus dans l’estime de Klopfenstein. Murdoch se rend compte qu’il a pu être blessant, par son attitude hautaine et suffisante, et il ne découvre qu’aujourd’hui ce revers de la médaille. Juste retour de bâton pour un gars qui se croyait impuni et un peu au-dessus de tous. Bien sûr que la petite sauveteuse était attirante et du goût du barbu. De là à dire qu’il voulait coucher avec elle était un bien grand mot, tout simplement parce qu’il ne l’avait pas vu sous son vrai jour auparavant, se contentant d’être un supérieur hiérarchique pète-sec. « Mais pas du tout ! » se défend-il avant de tirer une dernière bouffée de nicotine et de se frotter le visage. L’énervement le gagne doucement, il se sent perdre le contrôle de lui-même et sent la patience le quitter. « Pourquoi ? » s’emporte-t-il soudainement, au point de réveiller le chien qui vient pointer le bout de son museau dans la petite cuisine. « Parce que ça fait deux ans qu’on travaille ensemble mais ça ne fait qu’une semaine que j’apprends réellement à te connaître. » Murdoch n’était pas réputé pour être le supérieur hiérarchique le plus empathique du monde, même s’il se donne d’une autre manière pour sa petite équipe, prêt à les défendre bec et ongles. « Et contrairement aux apparences, ou à ce que tu peux penser, ça ne me déplaît pas .. » Manière détournée de dire que malgré tout il aimait bien la compagnie de la petite blonde, même s’il ne se serait jamais permis de le formuler ainsi. Il conclut sa dernière pensée dite tout haut avec un petit haussement d’épaules, avant de la planter là et de se diriger vers le salon pour aller écraser sa cigarette dans un cendrier, lui donnant par la même occasion l’opportunité de gagner un peu de répit et un bon bol d’air frais.

Alors elle reste assise là à fixer le pauvre Murphy qui la toise lui aussi d'un drôle d'air alors que son maître les a abandonnés tous deux à leur sort dans la cuisine. Nerveusement ses pieds battent l'air alors que les mots du marin font leur bonhomme de chemin dans la tête de Jude, ils raisonnent pour certain et font naître d'avantage d'interrogations. Deux ans déjà qu'ils travaillaient ensemble, qu'il lui tapait sur les nerfs régulièrement et se plaisait à lui envoyer des vacheries gratuitement. Non, la petite blonde ne s'était pas arrêtée un instant pour se demander si elle pouvait être gagnante à tenter d'apprendre à connaître Murdoch, non. Deux années et tout ce qu'ils partageaient était l'animal de compagnie de l'ancien militaire qui semblait apprécier la compagnie de la sauveteuse, elle retenait quand même le fait qu'il était égocentrique au point de ne s'intéresser qu'en surface aux gens qui l'entouraient, mais ne pouvait le lui reprocher puisqu'elle non plus n'avait pas daigné s'intéresser d'avantage au vieux bougon qui chapeautait l'équipe dont elle faisait partie. "Moi aussi, j'aime bien !" s'exclame t-elle alors en prenant appuie sur ses bras, mains calées entre ses cuisses, sur le rebord du plan de travail. "Il m'a sauvée de la noyade tu sais ?" bien sur qu'il ne le sait pas Jude, qu'elle idiote. "J'ai marché sur Murphy et j'ai vacillé, plouf." elle a haussé les épaules en battant des cils, moue boudeuse qui se dessine sur son visage poupin. "Il était gentil et très mignon, alors on a décidé de poser une date pour se prendre un verre et j'ai assorti mes sous-vêtements." à ces derniers mots la belle penche légèrement le menton en tirant sur le col de sa robe a grosse maille pour jeter un rapide coup d’œil à son soutien gorge. "Parce que nos téléphones n'ont pas eut la même chance que moi, enfin, j'ai mis son téléphone dans du riz pour le sauver, ça m'a donner l'impression d'être à l'école et de faire des expériences, c'était marrant..." sa voix qui s'éteint un peu à la fin de sa phrase alors qu'elle se racle la gorge à rester assise là comme une conne. "Lui n'aura pas eu besoin de deux ans ni d'une semaine pour me proposer à boire," elle continue à mi-voix "Il n'a pas non plus insinué que j'étais une madame je-sais-tout à petite vertu qui boit dans des pubs..." là elle s'est raclé la gorge pour reprendre plus fort cette fois. "Jack, qu'est-ce qui t'es arrivé dans la vie pour que tu perdes l'intérêt que tu pourrais prêter aux gens qui t'entourent ?" un putain de moulin à parole. "Non, je ne t'ai jamais demandé ce qui était arrivé à ta femme et ton fils parce que je n'ai pas envie que tu me demandes pourquoi je ne vois plus ma famille, tu vois ? Echange de bons procédés. Je ne demande rien à personne, je suis discrète et comme ça on ne s'intéresse pas à moi et on ne me pose pas de questions auxquelles je n'ai pas envie de répondre, du genre pourquoi je n'ai pas été à l'High School et je n'ai pas de diplôme, pourquoi je ne sais pas nager ou encore où est-ce que j'ai grandis."

Le contrôle de la situation lui échappait complètement et Jack ne savait pas trop comment faire pour essayer de rattraper la chose. L’envie d’adopter le même comportement défensif qu’ordinaire, à savoir se fâcher et faire en sorte que la jeune blonde prenne la porte, le séduit un court instant mais il se sent las. Las de porter sur ses épaules ce deuil, las de devoir faire les choses par lui-même. Pour la première fois depuis longtemps, des années peut-être, il a envie de partager les choses. Oui, Murdoch en a assez d’être seul. Il prend doucement conscience que cette solitude le pèse, le bouffe de l’intérieur et le ronge doucement. Isolé dans le salon, perdu dans ses pensées, il n’écoute qu’à moitié la tirade que lui sort la jeune femme quant à sa rencontre avec son nouveau prétendant. Jack s’en veut de l’image qu’il donne, de ce qu’il a bien pu dire ou laisser transparaître. Oui, il aurait aimé découvrir davantage la petite blonde, mais il restait sérieux et réaliste : il avait presque vingt ans de plus d’elle, s’était montré particulièrement odieux jusqu’ici et restait après tout son supérieur hiérarchique. Il secoua de manière subtile sa tête avant de se caler une nouvelle cancéreuse au coin des lèvres, qu’il allume immédiatement. Qu’est ce qu’il s’imaginait après tout ? « Ils sont morts. » répond-il froidement et laconiquement à la jeune femme avant de se retourner vers elle, le visage inerte et sans expression. « Ils sont morts et tout est parti avec eux. » Une dizaine d’années qu’ils étaient partis. Une dizaine d’années à culpabiliser et à ruminer qu’il n’aurait pas dû leur survivre. Il s’en voulait de ne pas avoir été là, il s’en voulait de commencer à oublier leur visage. Il s’en veut de ne pas avoir pu transmettre à son fils tout ce qu’il aurait souhaité. La simple évocation de cette perte lui brise le cœur et le fait sombrer immédiatement dans une certaine morosité. Jack tire nerveusement sur sa clope et se dirige vers son bar pour en sortir un verre, dans lequel il remplit un fond de whisky écossais. « Je ne veux pas te mettre en retard. » lui dit-il sans vraiment la regarder, se demandant ce qu’il attendait d’elle exactement. Murdoch ne connaît pas la réponse, se contente d’apprécier sa compagnie, n’attend rien de sa part. Après tout, elle ne lui doit rien, et lui ne cherche pas à s’immiscer dans sa vie où dans ses secrets.

Ils sont morts. Voilà donc ce qui était arrivé à Jack pour qu'il perde le peu d'intérêt qu'il pouvait porter au monde autour et Jude elle, se sent mal, terriblement. Chacun ses épreuves, à côté de ce tragique incident, la vie de la blonde semble elle plutôt jolie, pire, il pourrait lui reprocher d'avoir tourner le dos à ceux qui tenaient à elle quand lui n'a pas eu d'autre choix que de continuer d'avancer sans eux. "Je suis désolée..." souffla la jeune femme en se recroquevillant un peu, perdant son sourire éclatant, léger froncement de sourcils pour compléter le tableau. Tout en se mordant les lèvres, elle finit par descendre du plan de travail, l'ambiance de la pièce ayant subitement changé, si seulement elle avait fermé sa grande bouche au lieu de parler à tort et à travers. Culpabilité naissante au creux de son estomac qui forme un nœud, rapide coup d'œil qu'elle adresse à Murphy avant de le caresser derrière les oreilles pour se diriger vers lui lentement pour venir déposer une main compatissante sur son omoplate, le geste est assez gauche, plutôt hésitant. Craint de ne se faire envoyer paître simplement, et tout ça partait d'un verre, les proportions que peuvent prendre certaines conversations sont tout de même incroyables. "Je me suis enfuie de chez mes parents parce que je ne voulais pas me marier avec le voisin." elle a quelque peu englober la situation, c'était pas vraiment le voisin, mais la sauveteuse ne se voit pas tout lui expliquer en détails, pas maintenant, mais fait un pas vers le quadragénaire qui s'est confié et Jude veut lui faire comprendre qu'il peut, au moins, avoir confiance en elle. "J'ai pas envie de te laisser tout seul en sachant que tu bois et que je t'ai rendu triste..."

Le marin porte le verre à sa bouche et trempe ses lèvres dans la boisson à la couleur ambrée. Il reprend un peu de contenance après ressentir la délicate sensation qui lui brûle le palais et la gorge, tandis qu’un agréable goût tourbé et iodé lui envahit la bouche. Boire du whisky lui rappelait être en mer, affronter la puissance des éléments tout en acceptant d’être plus humble qu’eux. Son premier réflexe est de tressauter et d’esquisser un mouvement de refus lorsqu’il sent la douce main de la jeune femme se poser dans son dos, mais finit par se raviser et se laisser faire, tandis qu’une esquisse de sourire semble se dessiner sur ses lèvres. Son sourire peut peut-être paraître faux, mais son regard dit le contraire. Il fronce les sourcils à l’évocation de sa jeunesse et ne comprend pas toute l’histoire de Jude. Il ne pensait pas qu’à leur époque, et que dans un pays comme les Etats-Unis, certains parents pouvaient encore forcer leurs enfants à épouser le bon parti d’à côté. Plein de questions lui parviennent à l’esprit, sa bouche s’entrouvre, mais elles ne sortent pas tandis que la jeune femme poursuit. Tant pis, ce n’est ni l’heure, ni le moment. Mais le vieux marin bougon apprécie le geste de la jeune femme et essaie de le montrer avec ses yeux. « T’es gentille. » lui dit-il calmement alors qu’il pose son verre sur un des étages d’une bibliothèque. Jack s’approche d’elle et pose ses mains rugueuses, travaillées par le sel et les cordages, de part et d’autre du visage de la belle. Alors, tout aussi calmement, il vient déposer un baiser sur son front avant de reprendre sa position initiale comme si de rien n’était. « Mais ne t’en fais pas pour moi, je vais probablement terminer mon bouquin et aller me coucher. » mentait-il. « Ne gaspille pas ta soirée pour moi, s’il te plaît, et profites pour nous deux. » C’était peut-être le meilleur conseil qu’il pouvait lui donner.

Un bref instant elle ferma les yeux, alors que le souffle chaud de Jack caressait son visage avec cette odeur de tabac et d'alcool, ne put s'empêcher de sourire tristement le môme quand au mensonge que lui servait le marin, mais qui était-elle pour lui reprocher de tenter de se débarrasser d'elle ? "J'ai été contente de te voir," admit-elle dans un souffle en levant le nez vers lui, déposant la pulpe de ses doigts sur les mains du quadragénaire. La jolie blonde se dressa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser à la commissure des lèvres du marin, un battement de cils plus tard, elle s'approcha de la porte qu'elle ouvrit. "Ne boit pas toute la bouteille, j'ai besoin que tu sois en pleine forme demain." elle prit une profonde inspiration avant de regarder par dessus son épaule, lui adressant un sourire. "Je compte sur toi pour me rappeler que rentrer tard c'est mal et le truc sur la vertu aussi." puis elle s'éclipsa, regagnant ses pénates avant d'aller retrouver Charlie sur le lieu de leur rendez-vous.